Grand reporter à TF1, François-Xavier Ménage s’est rendu pour le 20H à Fukushima, dans et autour de la centrale nucléaire dévastée par le tsunami de 2011.
Le journaliste décrit la zone comme « l’endroit le plus dangereux du monde ».
Il nous raconte les coulisses de son reportage exceptionnel au Japon.
Suivez la couverture complète
L’accident nucléaire de Fukushima
Un document exceptionnel qui nous plonge dans la région dévastée autour de la centrale de Fukushima. Grand reporter à TF1, François-Xavier Ménage a pu pénétrer « dans l’endroit le plus dangereux du monde« , à proximité immédiate de la centrale nucléaire japonaise, détruite au moment du tsunami de 2011 sur la côte nord-est du pays . Après « des mois et des mois de négociations » pour être autorisé à tourner, il a pu de nouveau découvrir dans la zone des villes fantômes, vidées de tout habitant. Par endroits, certains finissent tout de même par revenir sur leurs lieux de vie, en dépit des hauts taux d’irradiation toujours présents.
Le journaliste, qui a déjà publié en 2016 un livre sur les conséquences de la catastrophe (« Fukushima, le poison coule toujours », ed. Flammarion), revient pour TF1info sur les coulisses de ce nouveau reportage exceptionnel réalisé pour le 20H, à retrouver en intégralité en tête de cet article.
TF1info : Vous avez été l’un des premiers journalistes arrivés sur place à Fukushima en 2011, immédiatement après le tsunami. Vous êtes retourné là-bas à de nombreuses reprises. Aujourd’hui, en 2024, quel sentiment prédomine en revenant une nouvelle fois sur les lieux de la catastrophe nucléaire ?
François-Xavier Ménage : C’est, si on réfléchit bien, l’endroit le plus dangereux au monde, puisqu’il y a des lieux précis dans la centrale où, si on reste plus de quelques minutes, on peut mourir. Il y a sous terre une sorte de magma hyper-radioactif de 800 tonnes et on ne sait toujours pas comment on va le traiter. Pour l’instant, ils ont réussi ces dernières semaines à extraire l’équivalent d’un grain de raisin qui va être analysé pendant des mois, peut-être même des années, pour qu’ensuite, on se dise voilà comment on va pouvoir traiter la chose.
Donc, ça veut dire que ce chantier du démantèlement va prendre encore des décennies et des décennies . Tepco, l’opérateur du site, explique qu’il a provisionné 60 milliards d’euros. Pour l’instant, il en a dépensé autour de 15 milliards d’euros, mais la facture sera probablement encore plus élevée. Et ils ne connaissent pas la dangerosité absolue de ce magma, étant entendu que même des drones et des robots, quand ils approchent, en général, sont électrocutés et ne peuvent plus répondre.
Une « zone rouge » qui retrouve certains de ses habitants
Au-delà de l’extraction des éléments les plus radioactifs de la centrale nucléaire, comment s’organise le reste de la décontamination ?
De l’eau a été utilisée pour refroidir les réacteurs, qui sont rentrés en fusion pour certains. Il s’agit de quantités astronomiques, l’équivalent de centaines et centaines de piscines olympiques dans lesquelles il y a de l’eau contaminée. La question, c’est : maintenant, qu’est-ce qu’on fait de cette eau ? En fait, depuis plus d’un an, l’eau est rejetée dans l’océan . Les autorités japonaises assurent que c’est fait avec des normes de sécurité internationales totalement réglementaires.
Les pêcheurs qu’on a vus, eux, nous disent : « de toute façon, quoi qu’il arrive, quand on pêche du poisson de ce bassin, on ne veut pas beaucoup de notre poisson , alors on nous l’achète pour pas cher du tout ». Cette question est devenue une bataille géopolitique. Les Chinois expliquent qu’ils ne veulent plus importer du poisson du Japon. Donc, il y a une bataille qui est à la fois géopolitique et sanitaire.
Vous avez pu rencontrer des habitants qui reviennent vivre dans la région de la catastrophe nucléaire. Que vous ont-ils dit ?
Quand la centrale explose, il y a une « zone rouge » qui est délimitée et plein de villes qui sont, en quelques heures, vidées de leurs habitants. Et au fur et à mesure, année après année, ils ont nettoyé les zones sensibles, et les autorités japonaises considèrent que c’est suffisant pour revenir. Mais dans les villes qui sont aux alentours de Fukushima et qui ont pu rouvrir, ceux qui rentrent sont surtout des personnes âgées. Et nous, on en a rencontré qui disent : « j’ai plus de 70 ans, j’ai plus de 80 ans, ma santé, ce n’est pas très grave ».
Dans les villes qui sont encore interdites, c’est fou de voir à quel point la nature a repris tous ses droits
Dans les villes qui sont encore interdites, c’est fou de voir à quel point la nature a repris tous ses droits
François-Xavier Ménage, grand reporter à TF1
Pour les plus jeunes, ça continue encore à être un marqueur. Il y en a qui refusent de venir quand d’autres reviennent. Et dans les villes qui sont encore interdites, c’est fou de voir à quel point la nature a repris tous ses droits. On n’entend plus que les animaux alors qu’avant, c’étaient des villes qui, parfois, comptaient plusieurs milliers d’habitants. Ce sont aujourd’hui des lieux totalement fantomatiques qui n’ont, pour certains, pas été touchés. Il y a des maisons encore intactes, parce qu’on n’a pas retrouvé les propriétaires. Et donc, les Japonais ne détruisent pas les maisons tant qu’on n’a pas pu rentrer en contact avec leurs propriétaires pour des questions de respect, mais aussi d’indemnités.
Le Japon a relancé ces dernières années la plupart de ses réacteurs nucléaires. Cet été, les autorités ont aussi remis en marche un réacteur de la plus puissante centrale du pays, Kashiwazaki-Kariwa. Comment a évolué l’opinion de la population japonaise sur la question du nucléaire ?
Le traumatisme est toujours là. Mais après, il y a le principe de réalité… La facture énergétique est évidemment très importante pour les Japonais, avec des principes économiques qui font que les autorités ont dit « on relance la machine ». Mais pour autant, et c’est là où il faut être très nuancé, je pense qu’il y a encore un traumatisme qui est énorme chez beaucoup, beaucoup, beaucoup d’habitants. On a beaucoup entendu les voix antinucléaires après la catastrophe. Le premier ministre de l’époque, Naoto Kan, est devenu farouchement antinucléaire. Mais ceux qui sont aux manettes aujourd’hui le sont beaucoup moins.