Le col est élimé, l’étoffe rapiécée, les coutures rafistolées : Béatrice Zavarro a prêté serment en 1996 et porte toujours la même robe, qui fait ce qu’elle peut après vingt-huit années de service. Le procès des viols de Mazan s’achève, le procès d’une vie pour l’avocate – elle préfère « avocat » – de Dominique Pelicot, jusqu’alors connue pour avoir assisté Christine Deviers-Joncour, condamnée, en 2003, à dix-huit mois de prison ferme pour recel d’abus de biens sociaux dans l’affaire Elf. Elle aurait pu en ressortir en lambeaux. Elle semble finalement en meilleur état que sa robe.
« J’ai le sentiment d’avoir relevé le défi », dit-elle, consciente tout de même que seule une mansuétude miraculeuse de la cour criminelle du Vaucluse permettrait à son client d’échapper aux vingt ans de réclusion requis contre lui – le maximum encouru. Le verdict est attendu le 19 ou 20 décembre. Son mandat n’était d’ailleurs pas de lui éviter cette peine, mais de faire apparaître sa part d’humanité et de défendre sa version des faits. « J’ai tenu l’audience, j’ai su parer certains coups, ça a été intense. » Un marathon d’un peu plus de cent jours. « Il a fallu tenir le rythme. » Seule.
L’avocate aux lunettes rouges avait émis l’idée d’une défense à plusieurs : Dominique Pelicot n’a voulu personne d’autre que celle qu’on lui avait recommandée dans la cour de promenade des Baumettes. « Alors ce sera vous et moi contre le monde entier », avait prédit cette fille de commerçants juifs marseillais d’origine espagnole, qui a failli louper son DEUG de droit, puis manqué choisir la magistrature, avant d’opter pour le barreau, « pour défendre des gens en train de se noyer plutôt que de leur enfoncer la tête sous l’eau ».
« Je n’avais pas imaginé la solitude »
Béatrice Zavarro, 55 ans, n’est pas un monstre d’éloquence. Pas de punchline, pas d’effet de manches, pas d’éclat de voix. « Moi, je ne sais pas crier. » Elle a l’autorité placide des gens qui n’ont pas besoin de ça pour qu’on les écoute. Elle pourrait sembler fragile du haut de son mètre quarante-cinq – cinq de moins qu’en 2022, avant ses multiples fractures des vertèbres en pleine instruction, dues à la maladie des os de verre. Mais c’est un mètre quarante-cinq de solidité.
« Vous et moi contre le monde entier. » La prédiction, reprise au début de sa plaidoirie le 27 novembre (jour de l’anniversaire de son client), s’est largement vérifiée depuis l’ouverture du procès, le 2 septembre (son anniversaire à elle). « Je savais que les confrères allaient me faire la misère, je suis entrée là-dedans comme dans un combat. Mais je n’avais pas imaginé la solitude. En tout cas pas aussi intense. » Dès le premier jour s’est établie autour d’elle une distance de sécurité, façon Covid. Personne n’a voulu prendre place à côté de « l’avocate du diable », « pas fréquentable », selon ses propres mots, flanquée à l’extrême gauche de la salle, d’où certains juges de la cour lui étaient masqués par le bureau surélevé de la greffière, unique voisine, à qui elle a parfois confié ses états d’âme.
Il vous reste 46.69% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.