L’AVIS DU « MONDE » – À VOIR
Après la mort de sa fille, Raoul (Christophe Paou), la cinquantaine, se rend à Marseille pour marcher sur ses traces et recoller les morceaux d’une vie dont il ignore tout. Au gré de ses déambulations, parfois vaines, souvent alcoolisées, il découvre que sa fille, Agnès, morte d’une overdose, lui avait menti de bout en bout sur sa sage vie d’employée dans un cabinet d’avocats. En fait, elle était une membre active de la scène rock underground et vouait sa vie à la fête, à la drogue et à son groupe de garage Fotogenico.
Bouleversé, Raoul se passe leur vinyle en boucle, tout en collant aux semelles des amies d’Agnès, qu’on dirait tout droit sorties d’un comic strip : il y a Tina (Angèle Metzger), vendeuse de disques avec la coupe de Ziggy Stardust, Lala (Roxane Mesquida), serveuse qui ne quitte jamais ses rollers, même au lit, et Brune (Bella Baguena), grande tige espagnole. Raoul les harcèle de questions, s’enivre, erre dans la ville, dort là où il peut, tentant de rassembler les pièces du puzzle, mais sans doute ne pourra-t-il pas aller plus loin que cette phrase, lâchée au milieu de son errance : « Marseille, elle a avalé ma fille. »
Présenté cette année à Cannes à l’ACID, Fotogenico est le premier long-métrage de Marcia Romano, scénariste prolifique pour le cinéma français (Revoir Paris, L’Evénement), et de Benoît Sabatier, précieux critique rock qui a longtemps officié au magazine Technikart. Devant leur film, on pense à un autre : Hardcore (1979), de Paul Schrader, l’histoire d’un bon père de famille calviniste qui écume les coins mal famés de Los Angeles, à la recherche de sa fille disparue.
Film un peu sauvage, fauché
Autre époque, autres mœurs, mais le principe est le même : prenez un vieux, mettez-le dans un monde de jeunes, et annotez toutes les bizarreries, incompréhensions, frictions qui naissent de cette collision. Superbement incarné par un Christophe Paou candide et à la tristesse rentrée, Raoul, c’est l’évident prolongement du regard des deux réalisateurs : un corps étranger, vieillissant, qui s’incruste dans un petit milieu underground peuplé de filles bizarres et de rencontres fortuites – le film, cela se sent, se nourrit de ce qu’il trouve sur place.
Marcia Romano et Benoît Sabatier mettent d’ailleurs autant de joie à filmer leurs acteurs qu’à contempler les lieux : un magasin de disques, une boîte interlope, une buvette au bord de la plage, des rues sales, jonchées de déchets ou de trottinettes en libre-service. Ici, rien n’est propre ou ne donne l’air d’avoir été décoré pour les besoins du tournage. C’est, ainsi, la sensualité des lieux qui est gardée intacte : la manière dont on y vit et dont on les pratique. Sans doute fallait-il un film un peu sauvage, fauché, tourné en vingt-trois jours, pour capturer cette facette si peu représentée de Marseille, ville mille fois caricaturée, ici saisie comme un terrain de jeu, à la fois crade et électrisée, une utopie bohème pour artistes sans le sou.
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