Livre. A-t-on le droit, lorsqu’on est scientifique, de s’engager dans le débat public ? A cette question devenue cruciale pour un nombre croissant de chercheurs, Sortir des labos pour défendre le vivant (Seuil, 72 pages, 4,90 euros) rédigé par une dizaine de membres du collectif Scientifiques en rébellion apporte une réponse évidemment engagée mais aussi argumentée. L’organisation, qui regroupe quelque 500 chercheurs issus de toutes disciplines, alerte depuis 2020 sur l’urgence à lutter contre le réchauffement climatique et l’effondrement de la biodiversité.
Outre l’organisation de conférences, ses membres assument le choix d’actions de désobéissance civile non violente – blocages de pont ou d’autoroute, perturbations d’assemblées générales d’actionnaires – au risque de poursuites judiciaires. Ces initiatives suscitent des discussions dans le milieu de la recherche, où l’engagement a longtemps été considéré comme suspect, voire incompatible avec le rôle du chercheur.
L’ouvrage présente l’intérêt de replacer ce débat dans une perspective historique qu’il fait remonter à l’affaire Dreyfus. Le directeur de l’Institut Pasteur de l’époque, Emile Duclaux, avait alors dérogé au principe de neutralité pour défendre l’innocence du capitaine, affirmant vouloir « fonder l’exigence démocratique sur l’usage des savoirs ».
Au cours du XXe siècle, cette question des usages des savoirs s’est posée avec une acuité tragique après l’utilisation de la bombe atomique par les Etats-Unis en 1945. Et, dans les décennies suivantes, nombreux sont les scientifiques à dénoncer les effets de l’amiante, du tabac, des pesticides ou de la déforestation tout en subissant les attaques de certains de leurs pairs.
Recherche et idéologie
Le texte rappelle les nombreux travaux académiques qui, depuis le sociologue Max Weber (1864-1920), démontent l’idée d’une « prétendue » neutralité scientifique. Ignorer certains biais dans le champ académique contribue en effet à les renforcer, notamment dans le domaine de l’environnement, rappellent les auteurs. De même, vouloir dépolitiser la science conduit à protéger les intérêts dominants alors que « la recherche a historiquement contribué à diffuser et légitimer une idéologie de croissance illimitée et de domination de la nature ».
Rythmé par des témoignages personnels, l’ouvrage éclaire les motivations des scientifiques engagés – de « la lutte contre un système mortifère » à la défense de l’« intérêt général » – et la crise existentielle qu’ils traversent. Les auteurs évoquent aussi les débats internes qui parcourent le collectif, tels que : « Faut-il aller plus loin pour se faire entendre ? » Ou encore : « Le mélange des genres entre recherche et engagement ne risque-t-il pas d’affaiblir la confiance du grand public à l’égard de la parole scientifique ? » Pour éviter ce dernier écueil, l’organisation a choisi de restreindre ses prises de position aux seuls arguments validés par le consensus scientifique, se gardant de déclarations issues du registre de l’opinion.
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