Des pays européens ont réagi avec une inhabituelle célérité à la chute du régime de Bachar Al-Assad, le 8 décembre. Vingt-quatre heures plus tard, l’Allemagne, la principale terre d’accueil des Syriens chassés par l’effroyable guerre civile qui a ravagé leur pays à partir de 2011, a annoncé le gel du traitement des procédures de demandes d’asile. Environ 47 000 dossiers sont actuellement en souffrance. Le Danemark, la Suède, la Norvège et l’Italie en ont fait de même. L’Office français de protection des réfugiés et apatrides a également indiqué le surlendemain « différer » ces examens.
Alors que des élections législatives sont prévues en Allemagne le 23 février 2025, des voix se sont élevées à droite et à l’extrême droite pour suggérer le retour des réfugiés en Syrie, ou à tout le moins pour demander de ne pas en accueillir de nouveaux. Jens Spahn, le chef du groupe parlementaire de la CDU (démocrates-chrétiens), a proposé d’organiser des vols charters pour renvoyer des Syriens chez eux avec une somme de 1 000 euros pour chacun. L’Autriche a également annoncé un programme de rapatriements et d’expulsions.
Cette précipitation est choquante. Certes, la fin brutale de la dictature de Bachar Al-Assad peut justifier, d’un point de vue purement juridique, un gel des procédures en cours. Il est encore trop tôt, en effet, pour savoir quel ordre institutionnel va émerger à Damas, et si la faction pour l’instant la plus puissante, composée d’islamistes se présentant comme nationalistes, respectera ou pas les droits fondamentaux des Syriennes et des Syriens, qu’ils appartiennent ou non à des confessions ou à des ethnies minoritaires.
Hypocrisie
Les pays européens ne peuvent cependant pas exclure, en dépit des propos apaisants multipliés par les dirigeants islamistes depuis le début de leur offensive fulgurante et victorieuse, que les partisans du régime déchu qui n’ont pas sur les mains le sang de cinq décennies de répression ne vont pas devenir à leur tour la cible d’une épuration sauvage.
L’hypocrisie de ces gouvernements européens saute aux yeux lorsqu’on se souvient qu’en juillet dix d’entre eux, conduits par l’Autriche et l’Italie, plaidaient pour une normalisation avec le régime syrien, au motif que Bachar Al-Assad était jugé conforté dans son pouvoir. Le but assumé était « de créer les conditions d’un retour sûr, volontaire et digne des réfugiés syriens ». L’enfer enfin dévoilé des prisons syriennes dit à quoi ces gouvernements étaient prêts à condamner les Syriens fuyant la barbarie du régime, pourtant attestée par de nombreux rapports d’organisations de défense des droits humains.
Personne ne peut contester que l’afflux de centaines de milliers de Syriens, à partir du milieu des années 2010, une fois dissipé le message optimiste et volontariste d’Angela Merkel, alors chancelière d’Allemagne, a puissamment contribué à la poussée dans les urnes des formations d’extrême droite. Il a alimenté un raidissement général sur la question de l’immigration, même si les pays limitrophes de la Syrie, la Turquie et le Liban, ont accueilli bien plus de Syriens.
Mais iI ne fait plus de doute non plus que militer pour une normalisation avec un régime sanguinaire incapable de se réformer était une erreur politique majeure. L’ensemble des pays européens a intérêt aujourd’hui à ce qu’une stabilisation propice à une reconstruction s’installe à Damas comme partout dans le pays. Elle seule rendra possible le retour des réfugiés.