C’est une guerre vieille de trois ans, lourde en détresse humaine et en dévastation, mais largement hors des radars des diplomaties influentes. Depuis qu’en novembre 2021 la rébellion du Mouvement du 23 mars, dit « M23 », soutenue par le Rwanda, a relancé les affrontements contre la République démocratique du Congo (RDC) dans l’est de ce pays, près de 1 million et demi de personnes se sont réfugiées dans des camps de fortune aux abords de la ville de Goma, où vivent déjà 1 million d’habitants.
L’intensification des combats, depuis la rupture, cet automne, du cessez-le-feu instauré en août et l’échec d’une tentative de médiation angolaise, n’a fait qu’aggraver le chaos. La prise de Goma, lundi 27 janvier, fait courir le risque d’un désastre humanitaire d’une immense ampleur dans une zone marquée par des décennies de conflits, dont les habitants dépendent largement des organisations humanitaires non gouvernementales et des agences des Nations unies pour leur survie.
Le conflit en cours a une particularité : l’un de ses protagonistes n’est pas désigné clairement. Présenté souvent comme mettant aux prises des factions rebelles congolaises, il oppose en réalité directement le Rwanda à la RDC, la prise de Goma s’apparentant à la mainmise de Kigali sur cette grande ville de l’Est congolais.
Un tabou
Longtemps de mise, les circonlocutions utilisées pour qualifier le M23 ont volé en éclats en juillet 2024 lorsqu’un rapport d’experts mandatés par l’Organisation des Nations unies (ONU) a établi que les forces de défense rwandaises « contrôlent et dirigent de facto les opérations du M23, [ce qui] rend le Rwanda responsable des actions du M23 », actions qui, dans certains cas, « peuvent constituer des crimes de guerre ». Ces constats continuent de faire l’objet d’un tabou. Réuni en urgence dimanche, le Conseil de sécurité de l’ONU a réclamé le retrait des « forces extérieures », sans désigner explicitement Kigali.
Petit pays ravagé en 1994 par le génocide des Tutsi, le Rwanda suscite la fascination, en Afrique et ailleurs, pour ses succès économiques, la réussite de sa pacification et l’habileté de son président, Paul Kagame. Ce dernier allègue la présence en RDC d’anciens génocidaires hutu pour justifier l’incursion de ses soldats. Mais, en prenant Goma, le régime autocratique de Kigali, qui contrôle déjà largement l’exploitation des minerais rares de l’est de la RDC, semble surtout manifester une volonté d’expansion territoriale au détriment de son voisin, un immense pays chaotique à l’Etat déficient, miné par la corruption et la misère.
Coïncidence ou non, cette offensive est concomitante des discours impérialistes de Donald Trump. Elle risque de conduire à un embrasement guerrier général dans une région déjà lourdement touchée par la violence, où les Nations unies entretiennent la plus importante et la plus ancienne de leurs missions de maintien de la paix.
Longtemps ambiguë, comme l’essentiel de la communauté internationale, la France a condamné lundi « l’offensive menée par le M23, soutenu par les forces armées rwandaises ». Aucune amorce de règlement du conflit meurtrier qui embrase l’est de la RDC ne peut être envisagée si les Etats-Unis ne font pas pression sur Kigali comme Barack Obama l’avait fait en 2012 dans des circonstances comparables. Mais au préalable, les protagonistes doivent être nommés, ce que la communauté internationale a trop longtemps refusé de le faire. En RDC comme en Ukraine, il s’agit d’une guerre entre deux Etats souverains, tous deux clairement désignés.