« Boussole de la compétitivité. » L’expression n’a eu de cesse d’être répétée par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, mercredi 29 janvier. C’est cette « boussole (…), en quelque sorte une traduction du rapport Draghi », qui doit permettre aux Vingt-Sept de « rattraper [son] retard en matière d’innovation », d’établir une « feuille de route conjointe pour la décarbonation et la compétitivité », ainsi que de « réduire la dépendance et renforcer la résilience et la sécurité économique » alors que « l’Europe est toujours à la traîne par rapport aux Etats-Unis et à la Chine en matière de croissance et de productivité », a-t-elle défendu.
La publication de cette « boussole de compétitivité », après une présidence de la Commission européenne marquée durant le dernier mandat par l’accent mis sur l’environnement, intervient sous la pression des annonces tonitruantes de Donald Trump en matière de protectionnisme ou d’investissements géants dans l’intelligence artificielle.
Champions du numérique, les Etats-Unis mais aussi la Chine ont creusé un fossé béant avec une Europe enlisée dans la stagnation. L’Union européenne entend revenir dans la course en appliquant les recommandations formulées l’an dernier par les anciens chefs de gouvernement italiens Enrico Letta et Mario Draghi dans deux rapports très médiatisés. De premières annonces concrètes sur l’allégement du fardeau administratif des entreprises et des aides à l’industrie propre sont attendues le 26 février.
Les textes environnementaux ciblés
Parmi les projets énoncés, Mme von der Leyen a annoncé qu’elle voulait « relancer le moteur de l’innovation » de l’Union européenne (UE), ce qui implique des allégements réglementaires pour les entreprises, sans pour autant renoncer aux engagements environnementaux. « Je veux être très claire : l’Union européenne maintient le cap concernant les objectifs du pacte vert », a-t-elle affirmé. « Les objectifs sont gravés dans le marbre : nous devons les atteindre d’ici à 2050. Il est absolument vital et nécessaire que nous y parvenions », a martelé la dirigeante allemande.
Les nombreux textes environnementaux votés ces dernières années sont dans le viseur des entreprises, qui multiplient les menaces de délocalisation, tandis que les écologistes craignent un détricotage des lois climatiques.
Des dizaines de législations seront revues pour réduire la charge administrative, en particulier un texte emblématique sur le devoir de vigilance des entreprises envers leurs sous-traitants, un autre sur le reporting social et environnemental, ou encore le règlement Reach pour protéger la santé humaine contre les risques liés aux substances chimiques. Ursula von der Leyen « a embrassé les appels des lobbys, des néolibéraux et de l’extrême droite » et « confirme son offensive massive contre les législations environnementales », a dénoncé l’eurodéputée Marie Toussaint (Les Verts/Alliance libre européenne).
« Sous couvert de “simplification”, cette initiative démantèlera des protections essentielles pour les citoyens européens, l’environnement et le climat », a dénoncé l’ONG Les Amis de la Terre. A l’inverse, Markus Beyrer, directeur général de l’organisation patronale BusinessEurope, a salué « un signal clair que l’UE est engagée à renforcer son économie ».
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Une nouvelle catégorie de société de taille intermédiaire, entre PME et grand groupe, sera créée pour alléger le fardeau réglementaire de « milliers d’entreprises ». Un régime juridique européen spécifique, distinct des 27 juridictions nationales, serait créé pour permettre aux entreprises innovantes d’accéder à des « règles harmonisées » en matière de faillite, de droit du travail, de fiscalité.
L’épineuse question du coût de l’énergie
Depuis la guerre en Ukraine, l’Europe a perdu son approvisionnement en gaz russe bon marché et subit un coût de l’énergie très supérieur à ses concurrents internationaux. Pour sauver son industrie, l’UE doit réduire sa dépendance aux énergies fossiles. « Nous devons développer davantage notre production d’énergie issue de sources renouvelables, et, dans certains pays, du nucléaire », avait déclaré à Davos Ursula von der Leyen, reconnaissant le rôle de l’atome, longtemps tabou à Bruxelles. La « boussole » de la Commission préconise aussi de « faciliter les contrats de long terme d’achat d’électricité » et d’accélérer l’investissement dans le réseau de transport et de stockage d’énergie.
Des aides publiques « ciblées et simplifiées » seront mises en place pour encourager la transition verte de l’industrie. Pour une efficacité maximale, Stéphane Séjourné, vice-président de la Commission européenne à la prospérité et à la stratégie industrielle, voudrait viser prioritairement « les 100 premiers sites émetteurs de CO2 », qui représentent plus de la moitié des émissions industrielles en Europe.
Des labels pour développer la demande en produits bas carbone seront créés. Bruxelles entend par exemple développer l’acier « vert », dont la demande est aujourd’hui quasiment nulle en raison de coûts prohibitifs. Pour les branches les plus en difficulté comme la chimie, la sidérurgie et l’automobile, des plans sectoriels spécifiques sont prévus dès cette année.
Assouplissement des règles de concurrence
L’innovation dans le secteur technologique nécessite de très gros budgets que seules les plus grandes entreprises sont en mesure d’assumer, d’où des mariages géants au niveau international. Or quand la Commission, gendarme de la concurrence dans l’UE, étudie une fusion elle prend essentiellement en compte son impact sur les prix, ce qui freine la création de champions européens.
Mario Draghi a recommandé d’adapter la réglementation des concentrations pour tenir compte aussi des effets positifs sur l’innovation. Il a été entendu par la Commission, qui annonce « de nouvelles lignes directrices pour évaluer les fusions ».
Stéphane Séjourné veut accélérer la réouverture de mines de métaux rares en Europe et a déjà reçu 170 projets d’exploitation ou de recherches minières, des projets souvent contestés localement pour leur impact environnemental. L’objectif est de réduire les dépendances européennes, notamment envers la Chine. « On va faciliter » l’attribution de permis, affirme le commissaire chargé de la stratégie industrielle.
Consolider le marché unique
La « boussole » prévoit également la création d’une plateforme pour l’achat en commun de matières premières stratégiques. Elle insiste sur le développement de partenariats internationaux multiples pour rendre les approvisionnements résilients, y compris dans les technologies vertes (solaire, éolien), numériques (puces) ou les ingrédients essentiels pour les médicaments. Dans un texte provisoire, la « boussole » évoquait l’introduction dès l’an prochain d’une « préférence européenne dans les marchés publics » pour certaines technologies critiques, une mesure poussée par la France afin de répliquer aux restrictions de la Chine.
Le marché unique a plus de trente ans et il a aidé à faire naître des géants européens dans la chimie, l’aéronautique ou l’automobile. Mais il souffre d’angles morts : la finance, mais aussi les télécoms, l’énergie ou la défense restent morcelés par des réglementations nationales différentes. « Supprimer les barrières restantes et élargir le marché unique contribuera à la compétitivité dans toutes ses dimensions », souligne la Commission.
Unifier les marchés de capitaux européens est une priorité, mais les intérêts nationaux divergents ont empêché tout progrès depuis dix ans. Résultat : l’Europe dispose d’une monnaie unique mais ses start-up restent incapables d’effectuer les levées de fonds géantes de leurs concurrentes aux Etats-Unis. Ursula von der Leyen avait promis à Davos une première mesure concrète : la création de « nouveaux produits d’épargne et d’investissement européens ».