CANAL+ – MARDI 4 FÉVRIER À 21 H 10 – FILM
A chacun de ses nouveaux films, Pascal Bonitzer semble se donner un nouveau défi d’écriture. Dans Le Tableau volé, celui-ci consiste à investir le milieu professionnel du marché de l’art, rarement approfondi par la fiction. Et, pour rendre cohérent à l’écran un univers de spécialistes, c’est sur la corde raide du langage que se joue l’essentiel.
L’argument est tiré d’une affaire réelle du début des années 2000 : la découverte d’un tableau d’Egon Schiele, réputé perdu depuis soixante ans, dans le logement d’un ouvrier de la banlieue de Mulhouse (Haut-Rhin), se soldant ensuite par une vente record. André Masson (Alex Lutz), commissaire-priseur chez Scottie’s (clin d’œil à la maison Christie’s), est alerté par lettre au sujet d’une toile, qu’il accourt authentifier avec son ex-épouse Bertina (Léa Drucker).
Ils reconnaissent, éberlués, Les Tournesols, variation sombre du peintre autrichien sur le modèle de Van Gogh, volée par les nazis à une famille juive. Afin de faire de cette trouvaille le tremplin de sa carrière, André doit encore la jouer fine, entre héritiers, experts, galeristes et représentants légaux.
Rapport de classe
C’est une chose de prendre un milieu comme toile de fond. C’en est une autre que de le saisir dans ses rouages et ramifications. Ce en quoi le film se montre convaincant, orchestrant une ronde de personnages bien choisis : la jeune stagiaire mythomane (Louise Chevillotte), l’avocate droit dans ses bottes (Nora Hamzawi), puis les experts, les gros bonnets et les riches clients versatiles. Bonitzer se plaît à s’ébattre dans cette sociabilité « langue de pute » aux arêtes tranchantes.
Le montage alterné ne tarde pas, par ailleurs, à installer une friction avec un autre milieu, plus populaire : la famille ouvrière. Il y avait fort à craindre qu’un tel contraste se retourne au désavantage des « prolos ». Mais Bonitzer intègre très vite l’enjeu du rapport de classe. Et la présence de Martin (Arcadi Radeff, magnétique), l’ouvrier déclassé qui restitue l’œuvre, ne cesse de gagner en importance au fil du récit.
Reste que Bonitzer élabore, pour raconter cette histoire, une forme étonnamment peu saillante, qui semble parfois se complaire dans une sorte de platitude téléfilmesque axée sur la décoration d’intérieur. Mais il faut voir là façon matoise de ne pas y toucher, de se retrancher derrière une troupe de comédiens à leur meilleur, servant un texte à l’intelligence incisive. Le Tableau volé traite finalement de deux rapports distincts à la valeur : dans les classes supérieures, celle-ci doit circuler coûte que coûte, tandis que chez les plus humbles elle ne signifie rien en soi. Dans la valse des chiffres se dessine alors un trajet moral.
Le Tableau volé, de Pascal Bonitzer, avec Alex Lutz, Léa Drucker, Nora Hamzawi, Louise Chevillotte, Arcadi Radeff, Laurence Côte (Fr., 2024, 91 min).