Sa longue invisibilité pendant près de cinquante ans a beaucoup contribué à l’aura mystérieuse qui entoure Quatre nuits d’un rêveur (1971), pièce manquante de l’œuvre de Robert Bresson et porte d’entrée dans une décennie en vent contraire. Du cinéaste, l’on connaissait bien la démarche unique : expurger le « cinématographe » (comme il l’appelait) de toute trace de théâtralité, pour le rendre à l’essence nue des êtres (il gommait toute intentionnalité des acteurs, qu’il appelait « modèles ») et des choses.
Or, dans le sillage encore brûlant de mai 1968, ce système clos ne paraît plus avoir de prise sur le bouillonnement de l’époque, et pour cette raison le film passera largement inaperçu. A le revoir aujourd’hui dans la superbe restauration numérique dévoilée lors de Cannes Classics en mai 2024, on se rend compte au contraire à quel point le regard de Bresson est traversé de toutes parts par le contemporain. Quatre nuits… ouvre même avec Le Diable probablement (1977), une veine « hippie » dans son œuvre, passionnée par les attributs de la jeunesse, imprégnée par la mode vestimentaire, les bandes vagabondes, la musique beatnik et l’activisme – preuve que Bresson regarde bien son temps, mais avec des lunettes d’extraterrestre.
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