C’est passé inaperçu, et certains militants persistent à dénoncer un « tout nucléaire », mais l’installation d’éoliennes et de panneaux photovoltaïques, soutenue par des subventions massives et l’obligation d’achat de leurs productions, a diminué la part du nucléaire dans la puissance installée du système électrique hexagonal. Elle est passée depuis quelques mois sous les 40 %, avec 39,2 % du total en février 2025 selon les calculs de RTE. Le graphique ci-dessous en donne le détail.
Cette part importante mais minoritaire de la puissance installée ne se retrouve pas dans la production elle-même qui dépend du facteur de charge des équipements. Ce facteur de charge dépend de la météo, comme pour l’éolien, le solaire et une partie de l’hydraulique. De l’ensoleillement pour les panneaux solaires. Ou d’un pilotage déterminé par la nécessité de suivre l’évolution de la consommation pour le nucléaire, le gaz et une partie de l’hydraulique (lacs et stations de pompage notamment). Ainsi que de la disponibilité technique de l’équipement (entretien, pannes, rechargement en combustible, etc). C’est pourquoi le graphique suivant, qui décrit la production par sources en février 2025 diffère sensiblement de celui du parc installé, puisque la part du nucléaire monte à 68 %.

Le tableau qui suit permet d’associer des volumes prévis aux parts figurées dans le camenbert graphique :

Cette répartition à l’intérieur du mix de production électrique est-elle optimale ? Pour le climat et l’économie ? Faut-il la faire évoluer ? Quels sont les risques encourus des différentes solutions ? Le bilan électrique du mois de février 2025 permet de réfléchir à ces questions importantes pour la garantie de l’approvisionnement en électricité et pour son coût pour les utilisateurs.
Le premier élément à considérer est la compatibilité du système avec les objectifs climatiques, et donc la nécessité de produire notre électricité avec le moins d’émissions de gaz à effet de serre possible. Cet impératif est largement atteint avec une part d’électricité bas-carbone de plus de 92 % pour l’ensemble du mois, un mois d’hiver et donc susceptible de recourir plus que lors des autres saisons aux centrales à gaz pour répondre à la demande. Dans le détail, le graphique ci-dessous montre les parts des différentes sources à ce résultat avec un pas de temps journalier. La France atteint un niveau de décarbonation de son électricité qui est attendu à l’échelle mondiale… pour après 2050 dans les scénarios étudiés par le GIEC pour atteindre les objectifs climatiques.

La garantie de l’approvisionnement est en grande partie assurée par le socle nucléaire, montre le graphique ci-dessous où l’on peut lire la courbe de la consommation, celle de la production totale (en général un peu supérieure puisque environ 10 % de la productdion a été exportée sur le mois) et celle de la production nucléaire. Cette dernière est très stable sur l’ensemble du mois, avec toutefois quelques baisses temporaires, opérées volontairement les 23, 24 et 27 février.

Ce graphique montre que la production nucléaire doit toutefois être complétée pour que la demande de consommation soit satisfaite, notamment pour suivre son évolution au cours de la journée. C’est pour l’essentiel l’hydraulique qui permet ce pilotage fin de la production électrique.
Comment, alors, interviennent les productions éoliennes et solaires ? Ces dernières ne sont pas pilotables (sauf par effacement de leur production) et dépendent de la météo et de l’ensoleillement. Voici pour l’éolien sa production mensuelle avec un pas de temps de 30 minutes : le maximum est de 13 683 MW le 24 février pour 24 868 MW installés et le minimum de 808 MW le 12 février. En 48h, du 22 au 24 février, la puissance chute de près de 13 000 MW à un peu plus de 2000 MW puis remonte à plus de 13 000 MW… pour rechuter à moins de 4 000 MW en quelques heures.

Le solaire fait très logiquement le yoyo entre les heures de nuit et le maximum à la mi-journée, modulé par la couverture nuageuseet monte ainsi entre 13 238 MW et un peu moins de 5 000 MW au maximum journalier.

Lorsque le vent et le soleil se liguent pour bien produire au même moment, et que la consommation (nationale ou exportée) est plutôt basse, cela peut entraîner la décision de piloter à la baisse la production nucléaire afin d’ajuster le total avec la consommation. Encore rare, cette situation pourrait se multiplier si l’on continue d’installer panneaux solaires et éoliennes sans chercher à optimiser le système total. Surtout que le voisin allemand se trouve déjà en situation de surproduction lorsque le Soleil brille à la mi-journée, entraînant la formation de prix de gros négatifs pour le marché de l’électricité au jour le jour et provoquant des variations de prix brutales en 24 heures, avec des pointes à plus de 100 € le MWh en fin de journée, vers 18-19 heures, et des prix approchant le zéro, voire négatifs, vers 13 heures.

Dans son dernier rapport annuel, l’inspecteur général de la sûreté nucléaire d’EDF, souligne que le suivi de charge par les réacteurs d’EDF est une singularité, due à l’importance du parc installé au regard de la consommation. Il se félicite de cette capacité exceptionnelle à l’échelle mondiale. Mais il en pointe les conséquences négatives, accrues par l’arrivée massive d’éoliennes et de panneaux solaires. Et surtout lance une alerte encore jamais entendue de la part d’EDF, ce qui justifie la citation un peu longue du rapport qui suit :
« Auparavant cette manœuvrabilité (baisse puis hausse de 80 % en 30 minutes) était sollicitée sur une partie de sa plage, lors des pics de consommation du matin et du soir. L’arrivée massive de nouvelles sources d’électricité renouvelables (EnR), à la fois intermittentes et prioritaires sur le réseau, a multiplié les variations de charge. Elles ne sont pas sans risque sur la sûreté du système électrique (dont le blackout) ni sans contrainte sur le fonctionnement de nos
installations. À long terme, elles remettent en cause le modèle économique.
D’une douzaine de réacteurs modulant sur une journée, il n’est plus rare qu’environ la moitié du parc nucléaire en service soit désormais concernée. Les équipes de conduite sont rompues à l’exercice mais une variation de puissance n’est pas une opération anodine. Exclusive de toute autre activité, elle légitime la sanctuarisation de la salle de commande. L’imprévisibilité et le faible préavis de ces modulations profondes perturbent la planification des activités, les maintenances programmées et les essais périodiques, touchant ainsi l’ensemble des métiers et des acteurs, prestataires compris.
De manière plus macroscopique, l’organisation des arrêts techniques devra être ajustée et nécessitera de conserver disponibles de nombreux réacteurs pour pallier l’intermittence des EnR. En hiver, au moment des grands appels de puissance sur le réseau, l’éolien, assujetti aux régimes météorologiques anticyclone/dépression, peut varier de plus de 20 GW en quelques heures. De même, en période d’ensoleillement, le nucléaire s’efface en milieu de journée et doit répondre au pic d’appel à la nuit tombée. De souplesse de fonctionnement, la modulation s’est
transformée en contrainte, le nucléaire devant faire face à la demande, seul ou avec
l’hydraulique, sauf à se résoudre à employer des moyens thermiques et carbonés.
En outre, le suivi de charge a forcément un impact sur la machine, plus fréquemment sollicitée par des cyclages profonds. L’augmentation des fortuits n’est pas flagrante mais c’est dans la durée que les effets seront appréciés. J’estime que la priorité donnée aux EnR, dans une
complémentarité unilatérale nucléaire-EnR, conduit à des variations de puissance dont il serait d’autant plus opportun de se dispenser qu’elles ne sont jamais anodines sur la sûreté, notamment la maîtrise de la réactivité, et sur la maintenabilité, la longévité et le coût d’exploitation de nos installations. »
L’optimum technico-économique
Si la question demeure ouverte, l’instruction technique des causes de la corrosion sous tension de certains tuyaux qui a conduit à la crise de 2022 – avec l’arrêt de nombreux réacteurs pour des réparations (découpe et remplacement des tuyaux) – pointe d’ailleurs la possibilité que ces suivis de charge aient pu contribuer à cette corrosion.
Ces éléments montrent qu’il est nécessaire de déterminer où se trouve l’optimum technico-économique pour le futur mix électrique hexagonal. Une question non triviale. La réponse doit en effet tenir compte de multiples connaissances et incertitudes sur une durée de temps longue – au moins un demi-siècle – quant aux équipements et à la consommation. Des sujets majeurs demeurent incertains comme la ré-industrialisation souhaitée pour l’emploi et les émissions de gaz à effet de serre – aura t-elle lieu ou non ? – ou la trajectoire de l’électrification des transports. Jusqu’en 2037, la production nucléaire sera fortement impactée par les visites décennales et les travaux imposés par l’Autorité de sûreté et de radioprotection nucléaire pour autoriser EDF à faire fonctionner ses réacteurs au delà de 40 ans – peut-être jusqu’à 60 ou 80 ans. Quant aux 6 EPR2 commandés à EDF, ils n’interviendront dans le mix qu’au-delà de 2035, au mieux. En revanche, il semble clair que fixer les objectifs d’installations d’éoliennes et de panneaux photovoltaïques en dehors de cette réflexion, et pour obéir à des chiffres plus politiques qu’industriels décidés à l’échelle de l’UE, ne permettra pas de viser un tel optimum.