Sous les grands hôtels et les casinos de Las Vegas, quelque 1500 personnes ont investi des tunnels.
Une équipe de TF1 est allée à la rencontre de ce peuple de l’ombre.
Regardez ce grand reportage diffusé ce jeudi dans le 20H.
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Le 20H
Hôtels flamboyants, fêtes extravagantes, casinos légendaires et pluie de dollars sur les tables de jeu… Las Vegas s’est imposée au fil des décennies comme le temple du jeu, du bluff et de tous les excès. Mais sous le pavé de la cité du vice, il existe un monde parallèle, un réseau souterrain où se réfugient les oubliés de la ville (nouvelle fenêtre). En tout, 1.500 personnes y survivent, surnommées « le peuple des taupes ».
L’accès à ces tunnels est en principe interdit, mais les membres de l’association caritative « Shine a Light », qui vient en aide à ces sans-abris, ont guidé l’équipe de TF1 dans ce dédale, des images à retrouver dans le reportage du 20H en tête de cet article. La descente commence sous les autoroutes du centre-ville, au milieu des ordures. Pour pénétrer à l’intérieur, il faut ensuite se glisser au travers de barreaux anti-débris.
Dès les premiers pas dans les tunnels, sur le sol recouvert de graviers et de déchets, l’obscurité devient vite totale et seule la lumière des lampes torche permet de se repérer. L’écho d’une voix perce au loin : celle de Charline, assise sur une chaise pliable, cigarette à la main, en pleine pénombre. Elle agite une balle lumineuse devant son chien, étendu sur des couvertures à ses pieds. « Il adore cette balle, parce que dans le noir, il peut la retrouver ! C’est la balle des tunnels », s’amuse-t-elle.
Une vie dans l’obscurité quasi-totale
Avec son mari, cette femme d’une quarantaine d’années s’est installée dans ce recoin insalubre il y a deux ans déjà, bricolant un abri avec les moyens du bord. « Ça, c’est notre salle de bain », lâche-t-elle dans un rire, laissant voir deux seaux d’eau et quelques produits de toilette derrière un rideau tiré. L’illusion d’un vrai chez-soi.
Ce n’est pas idéal, ce n’est pas notre choix, mais c’est le seul endroit où on a un peu de tranquillité d’esprit
Ce n’est pas idéal, ce n’est pas notre choix, mais c’est le seul endroit où on a un peu de tranquillité d’esprit
Charline, habitante des tunnels de Las Vegas
Cette ancienne dresseuse canine vivait jusqu’alors dans un van, embarqué par la fourrière. Elle n’a jamais pu le récupérer, faute de pouvoir débourser 300 euros. « On ne se réveille pas le matin en se disant : hey, allons vivre dans les tunnels ! Non… Ce n’est pas idéal, ce n’est pas notre choix, mais c’est le seul endroit où on a un peu de tranquillité d’esprit, explique-t-elle, une lampe autour du cou. Parce que dehors, la police peut nous arrêter. » Ceux qui plantent une tente sur le trottoir risquent en effet 10 jours de prison.
Loin de la surveillance policière, tous les sans-abris des tunnels tentent de gagner quelques dollars. Sur le sol, au milieu d’amas de sacs, de cartons et de débris, on repère par exemple des piles de câbles et de fils. « Ils les dénudent pour en extraire le cuivre (nouvelle fenêtre), puis le revendre à des décharges », explique Bryon Johnson, membre de « Shine a Light ».
Inondations à répétition
Depuis quatre ans déjà, il arpente ces souterrains, mais sans s’habituer au paradoxe du lieu : depuis quelques rares puits de lumière grillagés, on aperçoit le faste de la ville (nouvelle fenêtre), à la surface. « C’est le Caesars Palace, un casino qui vaut plusieurs millions de dollars (nouvelle fenêtre), et trois mètres en dessous, il y a des gens qui vivent sous terre », soupire-t-il.
Ces rares brèches lumineuses sont aussi la première source de danger. « Une fois par jour, le casino évacue ses eaux usées ici », lance-t-il. Un flot se déversant directement sur les réfugiés des tunnels. Ce réseau tentaculaire, qui s’étend sur 800 kilomètres, a en effet été construit par la ville dans les années 1970, pour évacuer les eaux de pluie. Sur des mètres et des mètres, des affaires recouvertes puis charriées par les flots restent prisonnières des débris et des graviers, une fois l’eau écoulée. Une canalisation de la commune a également explosé, laissant d’importantes flaques.
Jerry, le doyen de ce « peuple des taupes », a appris au fil des années à survivre aux inondations. Lampe à la main, il pointe une plaque d’égout : « il suffit de la pousser et on arrive directement sur la rue », indique-t-il. Juste en dessous, un abri a été improvisé, de quoi mettre ses affaires au sec en cas d’urgence. Quand cela est possible, l’eau est parfois aussi exploitée : le septuagénaire récupère les « fuites des arrosages automatiques de la ville » dans un bidon, pour se laver ou faire une lessive.
Un doyen installé depuis 20 ans dans le dédale
Sans famille ni ressource (nouvelle fenêtre), Jerry est arrivé dans les tunnels il y a 20 ans déjà. À l’époque, il était le premier à venir s’y installer. Lorsqu’on lui demande ce qui le pèse le plus, il n’hésite pas : « Les gens ! Ils sont de plus en plus nombreux ici », constate-t-il. Alors le septuagénaire, silhouette frêle et dos légèrement voûté, se rend régulièrement dans une galerie qu’il défend comme une forteresse, gardée par un portail qu’il a lui-même bricolé. Un atelier improvisé dans lequel il répare des vélos, « pour les revendre », et où il s’est aménagé un salon privé, avec un canapé. « Parfois, je viens ici pour m’isoler des autres », confie-t-il.
Un cocon créé à la sueur de son front, retirant lui-même la terre qui montait à l’époque jusqu’aux genoux. « En tout, j’ai dû transporter au moins 7.000 seaux », se souvient-il. Il tente tout de même, parfois, de dormir à l’extérieur : « j’essaie de ne pas devenir un ogre », ironise-t-il. Réussir un jour à quitter ce souterrain, « ça ne me dérangerait pas, mais j’ai 70 ans et je n’ai le droit à aucune aide du gouvernement, rien », lâche-t-il, glissant avoir accepté l’idée qu’il finirait sa vie dans ce dédale.
Remonter à la surface pour de bon
D’autres, au contraire, l’ont commencée là-bas. L’équipe de TF1 a assisté à une scène à peine croyable : un nouveau-né de deux mois seulement, dans les bras de ses parents qui descendent un escalier menant aux tunnels, et viennent fièrement montrer leur enfant. Au côté de son compagnon, la mère Marie a aujourd’hui trouvé un logement, mais elle a passé la quasi-totalité de sa grossesse sous terre. « Avec la chaleur, les odeurs… C’était dur », confie-t-elle.
Mais elle a pu compter sur la solidarité du groupe : « ils m’aidaient à me nourrir, ils s’assuraient que j’allais bien ». « Ils nous ont aidés à nous sevrer du fentanyl », abonde son conjoint. À l’époque, le couple était addict à cette drogue très dangereuse. Mais Marie avait pu accoucher in extremis à l’hôpital, un bébé de trois kilos 300 grammes et autant d’espoir, car son fils Jacob est né en bonne santé. « Je suis fière d’où je viens, parce que cela fait de moi une femme forte », lance sa mère.
Comme elle, Richard est lui aussi remonté à la surface pour de bon, après trois longues années passées à la rue. Trouver un logement à Las Vegas relève du parcours du combattant, les loyers ayant doublé en six ans. Grâce à l’association « Shine a Light », le jeune homme a pu obtenir un logement social, depuis six mois. « Je peux entrer chez moi, j’ai une porte, je peux prendre une douche chaude, pas besoin de m’inquiéter du temps qu’il fait dehors…, égrène-t-il. C’est un sentiment incroyable, d’être à nouveau humain. » Le début d’une seconde vie, à quelques centimètres seulement des entrailles de Las Vegas.