PARAMOUNT – VENDREDI 14 MARS À 22 H 40 – FILM
Body Double (1984) est l’une des œuvres les plus controversées de Brian De Palma. Conspué par les uns, adulé par les autres, le film fut mal compris à sa sortie et passa pour un thriller mal fagoté, peu crédible, voire franchement misogyne. Or, ce n’est pas dans son récit en trompe-l’œil mais bien à la surface de ses images que se situe son véritable propos.
En ce mitan des années 1980, l’image, dans son versant publicitaire, contamine la réalité même, envahit tout, se projette partout, sur les vêtements, dans l’architecture, sur les visages, comme autant de surfaces enchevêtrées qui font écran à la perception du réel.
Le film, on l’a beaucoup dit, se présente comme une relecture de ceux d’Alfred Hitchcock, plus précisément de Sueurs froides (1958) et de Fenêtre sur cour (1954), dont il explicite le sous-texte sexuel. Son héros, Jake Scully (Craig Wasson), acteur de série Z à Los Angeles, réalise la synthèse des perversions qu’endossait James Stewart dans les deux films du maître : un impuissant doublé d’un voyeur.
Danses lascives
Impuissant, incapable de jouer sur le plateau confiné d’un film d’horreur, car claustrophobe, viré de chez lui par une petite amie qu’il surprend en plein adultère. Voyeur, car fasciné par les danses lascives d’une voisine qu’il scrute à la longue-vue, à travers la baie vitrée d’un appartement où on l’héberge.
Bientôt, la brune affriolante disparaît, trucidée par un affreux rôdeur, et renaît sous la forme d’une blonde, Holly (Melanie Griffith, sidérante), actrice pornographique. Comme la froide Madeleine (Kim Novak) ressuscitait sous les traits d’une autre dans Sueurs froides…
Body Double n’a pourtant rien d’un objet théorique, les emprunts hitchcockiens servant, tout au plus, de cadre, de support, à l’effervescence de la mise en scène. La caméra, d’une mobilité folle, se faufile dans l’architecture lisse de la ville, dont les détours et les anfractuosités dessinent comme un piège de fascination où s’engouffrent les fantasmes du héros.
Si l’intrigue policière n’a, de fait, pas grand-chose de crédible, c’est parce que De Palma attire notre attention sur l’emballage trop séduisant, la surface trop colorée des choses. Sous le thriller de façade, l’aventure de ce comédien au chômage qui, un beau jour, se réveille dans la peau d’un acteur porno, s’apparente à la traversée des clichés de son époque : la publicité, les clips, la mode, la musique électronique − toute l’imagerie synthétique des années 1980.
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Comme l’Alice de Lewis Carroll, il fait sa traversée du miroir, sauf qu’ici le miroir n’est autre que sa propre obsession sexuelle, appartenant à cette « civilisation du cul » dont parlait Jean-Luc Godard dans Pierrot le Fou (1965).
Body Double, film de Brian De Palma (EU, 1984, 114 min). Avec Craig Wasson, Melanie Griffith, Gregg Henry.