Le Centre d’étude sur la vie politique française (Cevipof) publie, chaque année, une enquête sur la perception du monde politique par les électeurs, le « Baromètre de la confiance politique », et le dernier, paru en février, est particulièrement alarmant. Le niveau de défiance à l’égard du politique est, dans l’Hexagone, le plus élevé d’Europe, avec les trois quarts des Français qui disent n’accorder leur confiance ni à l’Assemblée nationale ni au gouvernement.
Et si cette absence de confiance, ce sentiment d’avoir un personnel politique déconnecté, incompétent, voire malhonnête, traduisait une colère en réalité ancrée ailleurs, et plus précisément dans la vie au travail ? Cette hypothèse peut paraître curieuse alors que la multiplication des scandales impliquant les politiques semble être au cœur du phénomène. Nous avons toutefois voulu tester le lien entre malaise démocratique et malaise professionnel.
L’étude du Cevipof s’inscrit dans une tendance de la recherche en sciences sociales. Depuis une dizaine d’années, les travaux se multiplient sur ce thème, suggérant par exemple que les emplois qui offrent plus d’autonomie renforcent la confiance en soi et conduisent à une plus grande participation politique, ou, dans un tout autre registre, que les emplois précaires incitent les individus à voter, cette fois pour « renverser la table » afin d’améliorer leur situation.
Nous avons interrogé un panel de participants à trois reprises, à quelques mois d’intervalle, avec des questions portant sur leurs perceptions de leur travail, sur leurs émotions vis-à-vis de leurs employeurs, sur leur confiance vis-à-vis du personnel politique et sur leur participation électorale.
Les conclusions de cette recherche sont claires. Lorsque les personnes ressentent une dégradation de leurs conditions de travail au sens large, elles expriment de la colère, et cette colère « déborde » au-delà des seuls employeurs : elle prend aussi pour cible les politiques, sous la forme d’une plus grande défiance et d’une moindre participation électorale. Ce lien entre emploi qui se dégrade et colère politique contribue à expliquer pourquoi la baisse du chômage obtenue par Emmanuel Macron pendant son premier quinquennat n’a pas permis, comme il l’espérait, de redonner aux Français une confiance dans l’action politique. Autant que la quantité de travail, c’est sa qualité qui compte.
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