Moscou accuse l’armée ukrainienne de meurtres de civils dans un village qu’elle a occupé dans la région de Koursk.
Kiev dénonce une nouvelle campagne de désinformation intitulée « Boutcha russe ».
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L’info passée au crible des Vérificateurs
Les soldats ukrainiens ont-ils tué des civils dans la région russe de Koursk ? À l’aune de ces nouvelles accusations formulées par Moscou, le Centre ukrainien de lutte contre la désinformation alerte sur une nouvelle campagne de propagande lancée par le camp d’en face. « Les Russes persistent dans leurs tentatives de créer le mythe du ‘Bucha russe’. Alors que des pourparlers sont en cours sur un cessez-le-feu, les propagandistes ennemis continuent de diffuser de fausses informations sur les crimes présumés commis par les troupes ukrainiennes », affirme l’organisme sur X (nouvelle fenêtre).
Une référence directe à Boutcha, cette ville ukrainienne où avaient été retrouvés en 2022 des dizaines de cadavres de civils après le départ des troupes russes. Il est maintenant avéré que 381 habitants de Boutcha ont péri (nouvelle fenêtre) sous l’occupation russe.
Des relais diplomatiques utilisés
En réalité, cela fait depuis janvier, et la reprise de plusieurs localités de Koursk, que la Russie accuse l’armée ukrainienne d’y avoir perpétré des massacres. Serait concerné, en particulier, le village de Russkoye Porechnoye, où au moins 22 civils auraient été tués et huit femmes violées par des soldats ukrainiens. Pour relayer ces accusations, Moscou utilise bien entendu ses médias : le 23 janvier, l’agence de presse TASS (nouvelle fenêtre) affirme, en citant un responsable militaire russe anonyme, que « les troupes ukrainiennes ont utilisé des civils comme boucliers humains dans la région de Koursk ». Le 5 février, le compte X de Sputnik Inde évoque plus directement le meurtre de 22 civils et le viol de huit femmes dans le village de Russkoye Porechnoye.
La Russie utilise également ses relais diplomatiques : sa mission auprès de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) publie un post (nouvelle fenêtre) sur Facebook le 30 janvier, qui mentionne « des preuves d’exécutions extrajudiciaires de civils, principalement des retraités, trouvées dans les sous-sols de maisons privées ». Mais aussi ses différentes ambassades, et notamment celles basées en Afrique : les comptes Facebook des ambassades russes en Namibie (nouvelle fenêtre) et en Afrique du Sud (nouvelle fenêtre) dénoncent les mêmes faits.
39 habitants restants en août 2024
Mais penchons-nous à présent sur les accusations en elles-mêmes. Le village de Russkoye Porechnoye a été conquis par les troupes ukrainiennes en août 2024 (nouvelle fenêtre) après leur offensive dans la région, puis a été repris par les soldats russes en janvier (nouvelle fenêtre) dernier. Au moment de la prise de contrôle par Kiev, il ne restait plus que 39 habitants sur place, d’après la responsable du conseil du village à la presse russe (nouvelle fenêtre). Nul ne sait combien y sont encore à ce jour.
Mais selon les autorités russes, les habitants de Russkoye Porechnoye ayant vécu l’occupation ukrainienne auraient été sacrifiés. Ces accusations viennent du Comité d’enquête russe, principal organe d’enquête judiciaire et véritable « bras armé de Poutine » depuis des années (nouvelle fenêtre). Le 31 janvier, le comité annonce le meurtre (nouvelle fenêtre) de 22 civils à Russkoye Porechnoye et publie en guise de preuve le témoignage filmé d’un soldat ukrainien fait prisonnier. Dans cet extrait vidéo, que l’on retrouve sur YouTube (nouvelle fenêtre), l’homme nommé Evgueni Fabrisenko avoue le viol et le meurtre de villageois russes.
Le témoignage, du même ordre, d’un autre soldat est mis en ligne (nouvelle fenêtre) le 4 février. Selon le comité d’enquête, les deux hommes appartiendraient à la 92ᵉ brigade d’assaut distincte d’Ukraine, bien présente dans la région de Koursk. Nous avons retrouvé Evgueni Fabrisenko : selon le site War Tears (nouvelle fenêtre), le soldat a été capturé le 23 novembre dernier et se trouve toujours en captivité. Il semble avoir été interrogé à plusieurs reprises, comme le montre cette retranscription de la Gazeta (nouvelle fenêtre). D’après cette version, il aurait donc passé trois mois dans la région après la prise de Russkoye Porechnoye par l’armée ukrainienne. Pour autant, son témoignage ne peut valoir de preuve : depuis le début du conflit, des aveux de soldats prisonniers sont souvent obtenus sous la contrainte, voire sous la torture.
Pas de corps identifié publiquement
D’autres éléments de preuves sont avancés par le comité d’enquête, tels que des images de cadavres entassés dans une cave. Ces corps ne peuvent toutefois être identifiés. De nouvelles images de corps partiellement ensevelis dans la neige ont été partagées début mars sur Telegram. Relayés par la chaine russe (nouvelle fenêtre) « Vent du Nord », qui donne des nouvelles de Koursk, ces clichés montreraient des « corps de résidents locaux brutalement tués » et « découverts » aux abords du village. Là encore, ils ne peuvent être reconnus ni leur position localisée. D’après nos recherches, aucun nom de victime présumée ne semble avoir été rendu public par le comité d’enquête, plus de deux mois après ces découvertes.
Par ailleurs, l’absence d’acteur indépendant dans la région, toujours en proie aux combats, empêche de vérifier les dires des autorités russes. Enfin, il est probable que le terme de « Boutcha russe » trouve ses origines du côté ukrainien. L’expression n’est pas utilisée comme telle dans la presse russe ou les chaines Telegram qui évoquent ces massacres présumés. Sollicité, le centre ukrainien de désinformation n’a pas souhaité faire de commentaire.
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