Une jeune femme de 19 ans a été condamnée cette semaine par un tribunal de Saint-Pétersbourg pour avoir « discrédité » l’armée russe, au terme d’une audience au cours de laquelle elle a défendu sans sourciller la « souveraineté de l’Ukraine ».
Daria Kozyreva avait été arrêtée après avoir collé des vers d’un poète ukrainien majeur sur une statue de ce dernier dans la ville russe.
Depuis plusieurs années déjà, la jeune Russe multiplie les démêlés judiciaires pour avoir protesté contre la guerre en Ukraine.
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Ukraine : 4ᵉ année de guerre
« Le drapeau national flotte toujours sur Kiev, et il le fera toujours. » Accusée d’avoir « discrédité » à plusieurs reprises l’armée russe, une jeune femme de 19 ans a été condamnée à près de trois ans de détention dans une colonie pénitentiaire (nouvelle fenêtre) par un tribunal de Saint-Pétersbourg, a affirmé vendredi 18 avril l’ONG russe de défense des droits OVD-Info (nouvelle fenêtre). Daria Kozyreva avait été arrêtée l’an passé après avoir collé des vers du poète ukrainien Taras Chevtchenko sur une statue de ce dernier, un geste qu’elle a pleinement assumé en audience.
La jeune Russe a été condamnée à deux ans et huit mois de prison, selon l’association et un communiqué des tribunaux de Saint-Pétersbourg, cité par CNN (nouvelle fenêtre). Le 24 février 2024, presque deux ans jour pour jour après le début de la guerre en Ukraine, Daria Kozyreva avait collé, sur la statue de ce poète ukrainien du XIXe siècle, des vers de ce dernier, extraits de son poème Mon testament. « Oh enterrez-moi, puis levez-vous / Et brisez vos lourdes chaînes / Et arrosez avec le sang des tyrans / La liberté que vous avez gagnée », était-il inscrit.
Moscou (…) n’a jamais remporté la victoire finale. Et ne le fera jamais
Moscou (…) n’a jamais remporté la victoire finale. Et ne le fera jamais
Daria Kozyreva à son procès
L’auteur et peintre est né près de Kiev, une zone qui faisait partie à l’époque de l’empire russe, avant de vivre à Saint-Pétersbourg. Au fil des années, il est devenu une figure incontournable de l’histoire de l’Ukraine, dont il est désormais l’un des héros nationaux. Dans ses écrits subversifs, il appelait à lutter contre l’oppresseur russe et défendait la culture ukrainienne, au point qu’il est devenu une icône et un symbole de résistance pour des générations actuelles d’Ukrainiens.
Devant le tribunal, Daria Kozyreva a déclaré que Taras Chevtchenko était son poète préféré, expliquant avoir agi pour « rassurer sa conscience », selon le média indépendant russe Mediazona (nouvelle fenêtre). D’après ce récit d’audience, la jeune Russe, peau très claire et rouge à lèvres noir, a déclamé d’autres vers du poète, et ce en ukrainien, malgré les protestations du procureur. « Notre renommée / Ne sera jamais abaissée. / Elle ne périra pas (…) / Notre épopée et notre chanson ancienne / resteront à jamais / Et c’est là que réside notre gloire / La gloire de l’Ukraine », a-t-elle notamment lancé.
La militante, qui est longuement revenue sur l’histoire ukrainienne (nouvelle fenêtre), faisant fi des interruptions du juge, a aussi assuré que si le poète était « transporté d’une manière ou d’une autre à notre époque », il ne serait « pas du tout » surpris par la guerre actuelle. « L’histoire de la Russie présente une caractéristique frappante : quels que soient les détenteurs du pouvoir (…), leur régime semble régi par une sorte de religion qui leur interdit de laisser l’Ukraine tranquille », a-t-elle déclaré. « Moscou (…) n’a jamais remporté la victoire finale. Et ne le fera jamais. Le peuple ukrainien ne le permettra pas. Il en a assez », a-t-elle encore lâché.
Poutine réélu : les opposants sortent de l’ombreSource : JT 20h WE
« L’Ukraine est un pays libre, une nation libre », a martelé la jeune femme. Jusqu’à s’en prendre directement à Vladimir Poutine, qui « n’arrive pas à comprendre que l’Ukraine est une nation souveraine », tout comme « beaucoup » d’autres « choses », « comme les droits de l’homme ou les principes démocratiques (nouvelle fenêtre)« .
Lors du lancement de l’invasion de l’Ukraine en 2022, « sur le papier, c’était un plan bien ficelé. Une guerre éclair, Kiev en trois jours. Mais trois ans n’ont pas suffi et trois décennies ne suffiront pas non plus », a-t-elle encore tancé. « Une partie du territoire ukrainien reste occupée », mais « Moscou n’a pas conquis l’Ukraine (nouvelle fenêtre)« , a-t-elle insisté. Avant de conclure : « Le drapeau national flotte toujours sur Kiev, et il le fera toujours. (…) L’histoire jugera, et jugera équitablement. Mais l’Ukraine a déjà gagné. »
Daria Kozyreva a déjà été condaméne par la justice Russe
Ce n’est pas la première fois que la jeune femme est confrontée à la justice russe : elle a également été mise en cause à nouveau pour avoir « discrédité » l’armée russe, suite à une interview dans laquelle elle avait qualifié la guerre en Ukraine de « monstrueuse » et « criminelle », selon OVD-Info.
En décembre 2023, elle avait par ailleurs été condamnée à une amende de 30.000 roubles (environ 320 euros) pour avoir déjà « diffamé » l’armée russe, ce qui lui avait valu une exclusion de la faculté de médecine de l’université d’État de Saint-Pétersbourg où elle étudiait. Sur le réseau social russe VKontakte, elle avait affirmé que « les impérialistes russes envoient maintenant des troupes en Ukraine afin de s’emparer d’une nouvelle zone d’influence ». « Des soldats, des travailleurs » sont « envoyés à la mort dans cette boucherie (nouvelle fenêtre)« , où ils vont aussi « devenir des meurtriers », avait-elle également écrit.
Un an plus tôt, en décembre 2022, elle avait déjà été arrêtée après avoir inscrit « Assassins, vous l’avez bombardée. Judas » sur une installation dédiée au jumelage entre les villes de Saint-Pétersbourg (Russie) et de Marioupol (Ukraine), tombée aux mains des Russes. Alors âgée de 17 ans seulement, encore lycéenne, elle avait fait l’objet d’une procédure pénale pour dégradation délibérée de biens, selon OVD-Info.
À la suite de cette condamnation cette semaine, Natalia Zviagina, directrice d’Amnesty International pour la Russie, a dénoncé « un nouveau rappel effrayant de jusqu’où les autorités russes sont prêtes à aller pour faire taire l’opposition pacifique à leur guerre en Ukraine ». Elle a appelé à la libération « immédiate » de la militante, selon CNN. Cette sanction intervient d’ailleurs la même semaine que la condamnation à de lourdes peines de prison de quatre journalistes accusés d’avoir collaboré avec l’organisation de l’opposant mort en prison Alexeï Navalny (nouvelle fenêtre), une décision dénoncée par Paris.
D’après OVD-Info, 1.184 personnes ont fait l’objet de poursuites judiciaires en Russie pour leur opposition au conflit en Ukraine. Et selon l’organisation Memorial, le pays compte actuellement 868 prisonniers politiques, des données très certainement sous-estimées, selon son cofondateur. En février dernier, Vladimir Poutine s’était lui félicité que plus d’un millier de personnes aient été condamnées pour « terrorisme » en 2024 dans le pays.