Pour la première fois, un bébé est né d’un embryon conçu par un système de procréation assistée entièrement automatisé. L’injection du spermatozoïde dans l’ovocyte (ICSI) a été effectuée à distance, tandis que plusieurs étapes clés du processus étaient gérées par des algorithmes d’intelligence artificielle. Jamais une ICSI robotisée et téléopérée n’avait jusqu’ici abouti à une naissance.
Automatisation de 23 étapes de l’ICSI
Cette plateforme a été développée par des ingénieurs informaticiens et embryologistes de la société Conceivable Life Sciences, basée à New York (États-Unis) et à Guadalajara (Mexique). Ces spécialistes de la FIV ont conçu un système automatisant 23 micro-étapes nécessaires à la réalisation d’une injection dans un ovocyte d’un spermatozoïde.
Ce système fonctionne de manière totalement autonome. Certaines étapes se déroulent sous le contrôle d’une intelligence artificielle, tandis que d’autres dépendent d’un système informatique piloté à distance, précisent Gerardo Mendizabal-Ruiz, Jacques Cohen et leurs collègues mexicains, américains et espagnols dans un article publié le 9 avril 2025 dans la revue RBMO (Reproductive BioMedicine Online). Un technicien intervient seulement pour déposer une goutte du sperme dans la boîte de Petri et y positionner l’ovocyte, et pour l’autre récupérer l’ovocyte fécondé à la fin de la procédure.
Épouse stérile et mari atteint de tératospermie
La FIV avec ICSI a eu lieu dans un centre de procréation Hope IVF Mexico à Guadalajara . La patiente était une femme de 40 ans souffrant de stérilité primaire avec faible réserve ovarienne et dont le mari, âgé de 43 ans, était atteint de tératospermie, trouble de la fertilité masculine caractérisé par la présence dans le sperme de moins de 4 % de spermatozoïdes de forme normale, les spermatozoïdes restants étant porteurs d’anomalies de la tête, de la partie intermédiaire ou du flagelle.
Un spermatozoïde est normalement constitué de trois parties principales : une tête, une pièce intermédiaire et un flagelle, lui donnant la capacité à se mouvoir. En cas de tératospermie, les spermatozoïdes ne présentent pas une tête ovale. Celle-ci peut être petite, grosse, de forme irrégulière ou allongée. Les spermatozoïdes sont en outre dotés d’un cou une fois et demi plus long ou encore d’un court flagelle. Ces altérations morphologiques retentissent négativement sur la mobilité des spermatozoïdes ou leur capacité à pénétrer dans l’ovocyte, aboutissant à une infertilité. C’est là que la procréation assistée entre en jeu.
L’ovocyte qui a servi à la FIV avec ICSI provenait d’une femme de 23 ans, donneuse d’ovocytes. Les spermatozoïdes provenaient du mari de la patiente.
L’accord du comité d’éthique a été obtenu avant d’utiliser ce système d’ICSI robotisé. Il repose sur l’ingénierie mécanique et électronique, qui permet un contrôle automatisé du revolver et de la platine du microscope. Le revolver est l’ensemble contenant les objectifs du microscope. Elle est rotative, ce qui facilite le passage d’un objectif à l’autre et la modification du grossissement de l’échantillon. L’injection intra-cytoplasmique du spermatozoïde dans l’ovocyte (ICSI) est effectuée dans une boîte de Petri posée sur la platine chauffée du microscope.
IA et vision par ordinateur pour évaluer en temps réel chaque spermatozoïde
La plateforme intègre une vision par ordinateur. Un logiciel est en effet utilisé pour analyser les images des spermatozoïdes. Il procède à la segmentation des images, tâche essentielle dans la vision par ordinateur. Ce processus consiste à étiqueter les pixels constituant un même objet, en l’occurrence un même type de cellules : le spermatozoïde.
Le système embarque également une IA qui, sur la base des données de segmentation d’images, sélectionne, parmi les spermatozoïdes présents dans la boîte de Pétri à proximité de l’ovocyte, celui jugé le plus apte à féconder l’ovocyte.
Une fois le spermatozoïde sélectionné, il convient de l’immobiliser avant de le charger dans la micropipette qui servira à l’injection dans l’ovocyte. Pour ce faire, on utilise la technologie laser.
C’est là qu’une autre IA entre en jeu qui, elle, commande la motorisation du microscope afin que le système laser s’aligne sur la région moyenne de la queue du spermatozoïde et délivre une impulsion laser afin d’immobiliser le spermatozoïde. Le laser entraîne la perméabilisation de la membrane située à proximité de la queue du spermatozoïde.
Une IA pour sélectionner le spermatozoïde, une autre pour l’immobiliser
Une IA supplémentaire prend alors le relais. Elle analyse la segmentation du spermatozoïde et détermine la position de la tête, de la région moyenne de sa queue et de son extrémité. Cette étape permet d’aligner le laser cette fois en direction de la partie moyenne de la queue du spermatozoïde afin de délivrer une seconde impulsion, qui permet de l’immobiliser définitivement.
Cette IA permet ensuite de positionner la micropipette en verre au regard de l’extrémité de la queue du spermatozoïde immobilisé. C’est cependant la position de la tête du spermatozoïde qui conditionne l’aspiration du spermatozoïde dans la pipette, ce qui permet de le prélever et de le retenir à l’intérieur.
Le temps moyen pour la sélection du spermatozoïde, l’immobilisation par laser et le chargement du spermatozoïde dans la micropipette a été de trois minutes et 50 secondes.
Il est à noter que la première application d’un laser pour immobiliser des spermatozoïdes dans le cadre d’une procédure ICSI remonte au début des années 2000. En 2002, une équipe autrichienne avait été la première à rapporter, dans la revue Fertility & Sterility, une naissance vivante résultant d’une ICSI ayant utilisé un spermatozoïde immobilisé par deux impulsions laser successives. Cette étape n’était pas automatisée et non contrôlée par une IA.
Une IA pour guider la pipette lors de l’injection du spermatozoïde
C’est alors qu’intervient une autre IA, spécialisée dans l’identification de l’ovocyte sous un grossissement de 4 fois et 40 fois. Elle permet de déterminer la position de l’ovocyte afin de faciliter au mieux l’alignement de la pipette contenant le spermatozoïde sélectionné et l’amincissement au laser la zone pellucide qui entoure l’ovocyte. Elle permet enfin de guider, tout en minimisant la résistance, la pénétration de la pipette dans l’ovocyte pour y déposer le spermatozoïde.
L’étape consistant à identifier l’ovocyte et à le stabiliser à l’aide d’une pipette, puis à amincir au laser la zone pellucide, dure en moyenne 1 minute et 39 secondes.
Lors de toutes ces étapes, une IA utilise l’ensemble de ces données pour suivre l’emplacement des outils micromanipulateurs. Enfin, la position du spermatozoïde à l’intérieur de la micropipette en verre est constamment contrôlée par une énième IA, ce qui s’avère essentiel pour stabiliser le spermatozoïde pendant le chargement dans la pipette et lors de l’injection dans l’ovocyte.
Pour injecter le spermatozoïde dans l’ovocyte et le déposer dans le cytoplasme, la plateforme utilise la procédure Piezo-ICSI qui génère des impulsions mécaniques de haute fréquence. Les vibrations produites facilitent la rupture de la membrane externe de l’ovocyte, composée d’une membrane plasmique appelée oolemme et d’une enveloppe appelée zone pellucide.
Le temps moyen de l’étape consistant à délivrer les impulsions piézoélectriques jusqu’au lent retrait de la pipette après l’injection du spermatozoïde a été de 4 minutes et 38 secondes. Globalement, l’intégralité de la procédure pour chaque ovocyte a pris 9 minutes et 56 secondes, une durée plus longue que lorsqu’elle est réalisée manuellement par un technicien spécialisé. En effet, dans ce cas, elle ne prend en moyenne qu’une minute et 22 secondes. On peut s’attendre à ce que des améliorations de la robotisation du système contribuent à l’avenir à raccourcir le temps de chacune des étapes.
Les ingénieurs ont montré que ce système était pilotable localement et à grande distance. Ils l’ont fait fonctionner depuis une pièce adjacente au laboratoire où se trouvait leur plateforme de FIV/ICSI. Surtout, ils ont montré que ce système d’ICSI automatisée, basé à Guadalajara, pouvait être piloté à distance, en l’occurrence depuis la ville de Hudson dans l’État de New York, située à une distance à vol d’oiseau d’environ 3 700 km. Un tel système nécessite de disposer d’une connexion internet avec des vitesses d’émission et de réception égales ou supérieures à 50 mégabits par seconde.
Plusieurs ovocytes injectés ont été obtenus par le système d’ICSI automatisée et pilotée à distance. Tous les ovocytes fécondés ont été cultivés en laboratoire et se sont développés en blastocystes (embryons âgés de 5 jours). Un des blastocystes a été transplanté dans l’utérus de la patiente, tandis que les autres ont été vitrifiés.
Un dosage de l’hormone bêta-HCG a été réalisé 7 jours après transfert. Cela n’a pas conduit à une grossesse. En revanche, ce fut le cas après un second transfert à partir d’un blastocyste préalablement vitrifié, puis réchauffé 4 heures avant d’être transféré.
Bébé né à terme
La grossesse, qui a été confirmée par un dosage sanguin de bêta-HCG au 25e jour du cycle, s’est déroulée sans problème et a conduit à la naissance par césarienne d’un petit garçon de 3,3 kg, en bonne santé, à la 38e semaine de gestation.
Le taux de fécondation a été considéré satisfaisant. Ce système robotisé a permis d’obtenir un taux de fécondation de 80 % : quatre ovocytes injectés sur cinq ont connu une fécondation normale dans le groupe ICSI à distance, contre trois ovocytes sur trois (100 %) dans le groupe témoin où l’ICSI avait été réalisée manuellement selon le protocole standard.
Ce n’est pas la première fois que l’on tente d’automatiser l’ICSI. Les premières tentatives ont été publiées en 2011. Elles concernaient l’immobilisation du spermatozoïde et utilisaient un modèle reposant sur un ovocyte de hamster et du sperme humain. Plus récemment, en 2023, une équipe espagnole (Embryotools, Barcelone) avait rapporté, dans la revue RBMO (Reproductive BioMedicine Online), la naissance de deux bébés en utilisant un système qui automatisait près de la moitié des étapes de l’ICSI. Dans ce système robotique, les étapes de la sélection du spermatozoïde et de son immobilisation n’étaient pas automatisées.
Refaçonner la FIV avec la robotique et l’IA
La robotisation de la fécondation in vitro (FIV) présente un grand potentiel : elle pourrait améliorer l’efficacité, la reproductibilité et la sécurité des procédures, tout en allégeant la charge de travail du personnel médical.
En ouvrant la voie à une standardisation des étapes cruciales du processus, l’automatisation de l’ICSI pourrait favoriser une meilleure survie des ovocytes et une optimisation du moment de l’injection. Elle contribuerait ainsi à améliorer les taux de réussite en réduisant la variabilité des résultats observée lors de ces procédures. En effet, les étapes reposent sur une série de gestes qui peuvent varier d’un opérateur à l’autre.
Les bénéfices cliniques potentiels des algorithmes d’intelligence artificielle pour accroître les chances de grossesse dès le premier cycle de procréation assistée restent toutefois à démontrer.
Il ne fait guère de doute qu’une collaboration étroite entre spécialistes de la procréation assistée, ingénieurs et experts en éthique médicale est indispensable pour accompagner cette révolution technologique et en préciser les usages futurs. En janvier 2025, la société Conceivable Life Sciences, engagée dans l’automatisation complète des laboratoires de FIV, a annoncé une levée de fonds de 18 millions de dollars.
Au vu des progrès techniques récents, on peut désormais envisager que la robotisation, associée à l’intelligence artificielle, redéfinisse l’avenir de la FIV avec ICSI, une technique dont la première application clinique remonte à 1992 et dont le taux de succès repose encore sur la dextérité manuelle d’un technicien qualifié et expérimenté.
VIDEO de la procédure d’ICSI automatisée (5 minutes 53 secondes)
Pour en savoir plus :
Mendizabal-Ruiz G, Chavez-Badiola A, Hernández-Morales E, et al. A digitally controlled, remotely operated ICSI system : case report of the first live birth. Reprod Biomed Online. 2025 Mar 29 :104943. doi : 10.1016/j.rbmo.2025.104943
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