Torture, privation de nourriture, isolement complet : la maison d’arrêt numéro 2 de Taganrog est devenue un « trou noir » dans lequel disparaissent temporairement, et parfois même définitivement, civils et prisonniers de guerre ukrainiens. Le système carcéral russe, déjà réputé pour sa brutalité, s’est considérablement durci depuis le début de l’invasion de l’Ukraine à grande échelle, en février 2022. Un nombre grandissant d’établissements pénitentiaires, vidés de leurs prisonniers russes, se sont métamorphosés en zones infernales où les gardiens se livrent aux pires sévices sur des détenus privés de tout droit et de tout moyen de communiquer avec l’extérieur.
La maison d’arrêt numéro 2 (SIZO nᵒ 2 en russe) de Taganrog, située à tout juste 40 kilomètres de la frontière ukrainienne, a rapidement émergé comme l’un des pires « trous noirs » de ce nouvel avatar de l’« archipel du goulag » soviétique. Construite en 1808, d’une capacité maximale de 512 détenus, elle enfermait principalement des délinquants mineurs jusqu’en 2022, lorsque environ 400 de ses occupants ont été transférés ailleurs pour faire de la place à un nouveau type de captifs.
Le « projet Viktoria », une enquête internationale
Pendant trois mois, l’organisation Forbidden Stories et un collectif de douze médias internationaux ont mené une enquête collaborative pour retracer le parcours de la journaliste ukrainienne Viktoria Rochtchyna, disparue à l’été 2023 lors d’un reportage dans les territoires occupés par Moscou et morte au cours de sa captivité en Russie. Cette enquête éclaire le système carcéral mis en place par la Russie pour les prisonniers civils ukrainiens, hors de toute procédure judiciaire, un sujet sur lequel la journaliste travaillait au moment de sa capture, et dont elle a finalement été victime. Autour de Forbidden Stories, dont la mission consiste à poursuivre et à publier les enquêtes de journalistes menacés, emprisonnés ou tués, le « Projet Viktoria » a associé 45 journalistes. Le Monde a pris part à ce travail aux côtés notamment de France 24, The Guardian, Der Spiegel, Die Zeit, la ZDF, The Washington Post, Ukrayinska Pravda et Important Stories.
L’afflux d’Ukrainiens capturés durant le terrible siège de Marioupol (de mars à mai 2022) a conduit les autorités russes à réorganiser le système carcéral dans la région de Rostov, et elles ont jeté leur dévolu sur la maison d’arrêt numéro 2 pour y interner ceux qu’ils estimaient être leurs ennemis les plus endurcis. Bon nombre des défenseurs de l’usine sidérurgique d’Azovstal, dernier bastion de la résistance ukrainienne à Marioupol, ont souffert entre ses murs.
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