Emmanuel Macron a accueilli, mercredi 7 mai à l’Elysée, le président syrien par intérim, Ahmed Al-Charaa, pour sa première visite, controversée, en Europe, depuis qu’il a pris le pouvoir après la chute de Bachar Al-Assad en décembre 2024.
Le président français a demandé à son invité, lors d’une conférence de presse commune, de « tout mettre en œuvre pour assurer la protection de tous les Syriens sans exception, quelles que soient leur origine, leur religion, leur confession, leurs opinions ».
Emmanuel Macron lui a aussi dit qu’il devait « s’assurer que les auteurs » des récentes violences interconfessionnelles visant des druzes et des « massacres » de membres de la minorité alaouite soient « poursuivis et jugés ». Il a également plaidé pour que l’Union européenne « sanctionne systématiquement les auteurs de ces crimes ».
Le chef de l’Etat s’est aussi dit favorable à une poursuite de « la levée progressive des sanctions économiques européennes » si la coalition islamiste au pouvoir en Syrie stabilise son pays. Il a également appelé les Etats-Unis à « se précipiter pour lever des sanctions » contre la Syrie, « avec des exigences », et à « maintenir » ses opérations militaires contre l’organisation Etat islamique dans le pays.
Emmanuel Macron a aussi qualifié les frappes israéliennes en Syrie de « mauvaise pratique », jugent qu’elles ne garantiront pas « dans la durée la sécurité d’Israël ». « On n’assure pas la sécurité de son pays en violant l’intégrité territoriale de ses voisins », a-t-il estimé.
La sécurité des Syriens est « la première priorité », a assuré pour sa part Ahmed Al-Charaa, tout en appelant à la levée des sanctions contre la Syrie. « Rien ne justifie qu’elles soient maintenues parce qu’elles sont des sanctions aujourd’hui imposées au peuple et non pas à celui qui a massacré ce peuple », a-t-il argué. Il a par ailleurs confirmé « des discussions indirectes » avec Israël « à travers des médiateurs (…) pour contenir la situation actuelle ».
La présidence française balaye toute « naïveté »
Dix-sept ans après la dernière visite d’un président syrien à l’Elysée – Bachar Al-Assad avait été invité en 2008 par Nicolas Sarkozy pour assister au défilé du 14-Juillet –, cette invitation d’Ahmed Al-Charaa visait à acter le rétablissement des relations franco-syriennes. Emmanuel Macron espère contribuer à accompagner dans la bonne voie la transition vers « une Syrie libre, stable, souveraine et respectueuse de toutes les composantes de la société syrienne », avait précisé l’Elysée à l’Agence France-Presse (AFP) mardi.
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Des massacres qui ont fait 1 700 morts, surtout des alaouites, dans l’ouest du pays en mars, des combats avec des druzes, et des sévices documentés par des ONG ont soulevé des doutes sur la capacité des autorités à contrôler des combattants extrémistes qui leur sont affiliés.
En amont de cette visite, la présidence française avait balayé toute « naïveté », assurant connaître « le passé » de certains dirigeants syriens et exiger qu’il n’y ait « pas de complaisance » avec les « mouvements terroristes ». L’Elysée avait aussi évoqué la « préoccupation particulièrement forte » de la France de « voir resurgir des confrontations interconfessionnelles ».
Mercredi encore, la porte-parole du gouvernement, Sophie Primas, a fait valoir qu’entamer un dialogue avec Ahmed Al-Charaa faisait « partie de notre responsabilité » et allait « dans l’intérêt de la France, et de l’Union européenne ». Pour autant, ce dialogue « n’est pas une caution de ce gouvernement », a-t-elle assuré lors du compte rendu du conseil des ministres.
Une invitation critiquée par la droite et l’extrême droite
Emmanuel Macron a été vivement critiqué par la droite et l’extrême droite françaises pour l’invitation faite à cet ancien djihadiste. « Stupeur et consternation », a réagi la cheffe du Rassemblement national, Marine Le Pen, décrivant le président syrien comme « un djihadiste passé par Daech [acronyme arabe de l’organisation Etat islamique] et Al-Qaïda ». « Le tapis rouge de l’Elysée aura la couleur du sang des victimes du terrorisme islamiste », a renchéri son allié Eric Ciotti, mercredi sur RTL.
« On ne reçoit pas des dirigeants qui sont d’anciens terroristes membres d’organisations qui veulent attaquer la France », a aussi affirmé sur CNews et Europe 1 le chef des députés Les Républicains, Laurent Wauquiez, dénonçant « une lourde erreur ».
« Ne pas engager le dialogue avec ces autorités de transition, (…) ce serait être irresponsable vis-à-vis des Français et surtout ce serait tapis rouge pour Daech », a pour sa part estimé le ministre des affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, sur RTL. Selon le locataire du Quai d’Orsay, « la lutte contre le terrorisme, la maîtrise des flux migratoires, la maîtrise des trafics de drogue », ainsi que « l’avenir du Liban » voisin, « tout cela se joue en Syrie ».
Depuis qu’elle a pris le pouvoir, la coalition islamiste dirigée par Ahmed Al-Charaa tente de présenter un visage rassurant à la communauté internationale, qui l’exhorte à respecter les libertés et à protéger les minorités. En jeu, la levée des sanctions imposées au pouvoir de Bachar Al-Assad, qui pèsent lourdement sur l’économie du pays, exsangue après quatorze années de guerre civile, avec, selon l’ONU, 90 % des Syriens vivant sous le seuil de pauvreté.
Ahmed Al-Charaa, longtemps chef du groupe islamiste Hayat Tahrir Al-Cham (HTC), issu de l’ex-branche d’Al-Qaïda en Syrie, est lui-même toujours visé par une interdiction de voyager de l’ONU. Paris a dû demander une dérogation auprès des Nations unies pour permettre sa venue.