Les investigations contre Agathe Habyarimana pour son éventuel rôle lors du génocide des Tutsi au Rwanda en 1994 sont closes, sans que la veuve de l’ancien président rwandais n’ait été mise en examen. Les juges ont conclu que les témoignages à charge étaient « contradictoires, incohérents voire mensongers ».
Selon des sources proches du dossier, la juge d’instruction du pôle crimes contre l’humanité du tribunal judiciaire de Paris a rendu sa décision de fin d’information vendredi 16 mai. Placée depuis 2016 sous le statut intermédiaire de témoin assisté, Agathe Habyarimana, 82 ans, échappe donc à ce stade à un procès.
« Absence d’éléments circonstanciés et concordants »
Cette décision pourrait augurer d’un non-lieu, d’ici quelques mois. Le Parquet national antiterroriste (PNAT) a saisi en septembre la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris pour demander la mise en examen de Mme Habyarimana pour entente en vue de commettre un génocide.
Une audience à huis clos doit se tenir mercredi 21 mai. « Mme Habyarimana attend avec une grande sérénité l’issue de la procédure qui vient de connaître un nouveau coup de théâtre aujourd’hui avec la décision rendue par la juge d’instruction, qui anéantit la démarche de l’accusation », a réagi son avocat Philippe Meilhac. « Il est temps que le non-lieu qui s’impose soit prononcé au plus vite. »
Rejetant des demandes du PNAT, la juge chargée du dossier, en co-saisine avec une autre juge spécialisée, conclut dans une ordonnance datée de vendredi, qu’il « n’existe pas à ce stade d’indices graves et concordants contre Agathe Kanziga (Habyarimana) qu’elle ait pu être complice d’acte de génocide » ou pu « participer à une entente en vue de commettre le génocide ». « Si la rumeur est tenace, elle ne peut faire office de preuve en l’absence d’éléments circonstanciés et concordants », poursuivent-elles. La juge a entendu une nouvelle fois Agathe Habyarimana en décembre ainsi que des témoins, mais refusé d’autres « actes inutiles » au regard du « délai raisonnable déjà largement dépassé », selon l’ordonnance.
« Aucun discours de haine »
Le 6 avril 1994, l’avion qui transportait le mari d’Agathe Habyarimana, le président hutu Juvénal Habyarimana, avait été abattu en phase d’atterrissage à Kigali. Cet assassinat avait déclenché les massacres contre la minorité tutsi, tués par les Forces armées rwandaises et les milices extrémistes hutu Interahamwe. D’avril à juillet 1994, ce génocide a fait 800 000 morts, selon l’ONU.
Poursuivie pour « complicité de génocide » en France depuis 2007, après le dépôt d’une plainte du Collectif des parties civiles pour le Rwanda, elle est sous le coup d’un mandat d’arrêt international émis par Kigali. Mais Paris, qui l’a déboutée de sa demande d’asile, refuse également de l’extrader vers le Rwanda. Installée en France depuis 1998, elle y vit donc sans statut légal.
Pour les juges, Agathe Habyarimana « apparaît non comme auteure du génocide, mais bien comme victime de cet attentat terroriste » et « on ne peut établir la preuve d’un lien entre les premiers assassinats perpétrés par certains membres de la garde présidentielle ou de l’armée et un ordre qu’elle aurait donné » le soir du 6 avril 1994. Trois jours plus tard, elle était exfiltrée en Europe avec sa famille à la demande du président français François Mitterrand, proche de son mari.
Selon les juges, il n’existe « aucun discours public d’Agathe Kanziga proférant des discours de haine ou d’appel au génocide » ; « aucun témoignage ne (la) relie » à des listes de Tutsi à tuer ; « aucune trace » qu’elle ait pu intervenir pour faire de la propagande sur la Radio mille collines, qui diffusait des messages de haine anti-Tutsi, ou de l’avoir financée. Les juges répondent ainsi aux accusateurs d’Agathe Habyarimana qui la présentent comme l’une des dirigeantes de l’« akazu », le premier cercle du pouvoir hutu qui, selon ses accusateurs, a planifié et orchestré le génocide des Tutsi, ce qu’elle réfute.
Patrick Baudouin, avocat de la FIDH, partie civile, a pour sa part « déploré l’absence de mise en examen alors qu’existent des éléments à charge largement suffisants ».