« Je ne crois pas que les gens puissent se reconnaître dans les personnages de Bergman. Ils ne sont que des figures dans un théâtre mental. » Voilà comment Bo Widerberg (1930-1997), dans un essai-manifeste publié en 1962, à la veille de tourner son premier film, contestait l’hégémonie esthétique d’Ingmar Bergman (1918-2007), alors intouchable figure tutélaire du cinéma suédois. Moins que l’anti-Bergman, Bo Widerberg se voulait l’inventeur d’une autre voie, alors difficile à imposer : plus charnelle que cérébrale, plus sensible au collectif qu’au drame métaphysique, tourné vers le dehors plutôt que le dedans.
Widerberg renoue surtout un pacte singulier avec le réalisme social, les visages des classes populaires et des déclassés, avec l’ambition de tailler à chacun de ses sujets une forme sur mesure. Depuis plus de quinze ans, le distributeur Malavida œuvre sans relâche à la reconnaissance de son travail. Onze longs-métrages retrouvent le chemin des salles dans des versions restaurées, dont deux inédits, L’Homme de Majorque (1984) et Le Chemin du serpent (1986).
Ses modèles, Bo Widerberg est allé les chercher ailleurs, du côté du free cinema anglais, de l’indépendance intransigeante d’un John Cassavetes (1929-1989), surtout de la Nouvelle Vague française. Spontanéité, fraîcheur et coups d’éclat sont ainsi au programme de ses premiers longs-métrages en noir et blanc. Le Péché suédois (1963) brosse le portrait d’une jeune fille de son temps, qui choisit d’avoir un enfant seule (le titre original Barnvagnen, moins racoleur, signifie « landau »), dans une semi-improvisation où chaque prise s’arrache à un déséquilibre fécond.
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