La police a dispersé dimanche 15 juin une manifestation à Makurdi, capitale de l’Etat de Benue, au lendemain d’une attaque qui a fait plusieurs dizaines de morts dans cet Etat du centre du Nigeria où les affrontements entre communautés sont récurrents et intenses.
Plusieurs milliers de personnes sont descendues dans les rues de la ville, selon des témoins locaux et des vidéos postées sur les réseaux sociaux, pour demander aux autorités des mesures urgentes contre les violences dans la région. Selon des témoins, la police a lancé des gaz lacrymogènes pour disperser la foule.
« C’était une manifestation pacifique et la police est arrivée et a jeté des gaz lacrymogènes, beaucoup de gens se sont enfuis », a raconté à l’Agence France-Presse (AFP) John Shiaondo, journaliste local qui suivait le cortège. « Nous exerçons notre droit de manifester pacifiquement contre les meurtres incessants de notre peuple et maintenant la police nous tire dessus avec des gaz lacrymogènes », a témoigné Joseph Hir, un manifestant, à l’AFP.
« Les manifestants ont reçu un délai précis de la part des forces de sécurité pour mener leur manifestation pacifique, ils ont manifesté sans incident et sans faire de blessés. Lorsque le moment est venu de se disperser, ils ont reçu l’ordre de le faire », a déclaré de son côté le porte-parole du gouverneur de Benue, Tersoo Kula, à l’AFP.
« Au moins 100 morts »
Dans la nuit de vendredi à samedi, des hommes armés ont tué plusieurs dizaines de personnes à Yelewata, dans le centre du pays, région qui connaît une recrudescence de violences depuis plusieurs mois, entre éleveurs peuls musulmans et agriculteurs sédentaires, principalement chrétiens, pour le contrôle des terres et des ressources.
Le gouverneur de Benue, Hyacinth Alia, a déclaré dimanche soir lors d’une conférence de presse dans son bureau que le bilan officiel de la communauté de Yelewata s’élevait à 59 personnes tuées. La veille, plusieurs habitants de Yelewata mentionnaient « au moins 100 morts ».
Depuis Rome, le pape Léon XIV a mentionné dimanche en marge de sa traditionnelle prière hebdomadaire « un terrible massacre ». « Je prie en particulier pour les communautés chrétiennes rurales de l’Etat de Benue, qui sont des victimes incessantes de la violence », a ajouté le souverain pontife.
Le président nigérian, Bola Tinubu, a annoncé dans un communiqué dimanche soir que « les chefs des services de renseignement, la police et l’armée sont arrivés dans l’Etat pour diriger les opérations de sécurité et rétablir l’ordre public ». « J’ai donné pour instruction aux forces de sécurité d’agir avec détermination, d’arrêter les auteurs de ces actes odieux, quel que soit leur camp, et de les traduire en justice », a-t-il ajouté.
Dimension religieuse ou ethnique
Le gouverneur de Benue, Hyacinth Alia, avait fait savoir plus tôt que « des équipes tactiques ont commencé à arriver à Benue depuis le gouvernement fédéral et des renforts de sécurité sont en cours de déploiement dans les zones vulnérables ». « Les unités opérationnelles conjointes de l’Etat sont également renforcées et le gouvernement ne relâchera pas ses efforts pour défendre la vie et les biens de tous les habitants », avait-il ajouté.
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Samedi, la branche nigériane de l’ONG Amnesty International estimait que « le massacre horrible de plus de 100 personnes par des hommes armés qui ont envahi Yelewata, dans la nuit du vendredi 13 [au samedi 14 juin], montre que les mesures de sécurité que le gouvernement prétend mettre en œuvre dans l’Etat ne fonctionnent pas ».
Les attaques dans cette région dite de la ceinture centrale du Nigeria prennent souvent une dimension religieuse ou ethnique. L’accaparement des terres, les tensions politiques et économiques entre les sédentaires et ceux qui sont considérés comme des étrangers, ainsi que l’afflux de prédicateurs musulmans et chrétiens extrémistes, y ont accentué les divisions.
Les terres disponibles pour l’agriculture et l’élevage se réduisent régulièrement à cause du changement climatique et de l’expansion humaine, ce qui entraîne une concurrence parfois mortelle pour un espace de plus en plus limité. Les éleveurs peuls sont généralement accusés d’être les auteurs de ces attaques, mais ces derniers affirment aussi être la cible d’attaques meurtrières menées par des agriculteurs et d’expropriations de terres.
Il y a deux semaines, au moins 25 personnes ont été tuées par des hommes armés dans le même Etat de Benue. Et une série de massacres non élucidés a fait plus de 150 morts en avril dans les Etats du Plateau et de Benue. Selon un récent rapport d’Amnesty International, 6 896 personnes ont été tuées dans des attaques au cours des deux dernières années dans l’Etat de Benue et 2 600 dans celui du Plateau.