Quand elle découvre la photo sur les réseaux sociaux, en septembre 2022, Nino Gagua, Géorgienne de 52 ans, croit d’abord à un montage. Sur le cliché, le ministre ukrainien de la défense de l’époque, Oleksii Reznikov, pose avec une bouteille de vin produite par son mari, un vigneron installé en Kakhétie, la région viticole dans l’est de la Géorgie. L’invasion russe de l’Ukraine a commencé sept mois plus tôt, le 24 février 2022. Le ministre, en sweat et casquette kaki, promet de fêter la victoire de l’Ukraine avec ce cru. En une photo, le label du vigneron géorgien, Winiveria, devient un symbole du soutien à l’Ukraine face à Moscou.
« On ne savait même pas qu’il connaissait l’existence de notre vin, raconte le producteur, Giorgi Piradachvili, cigare à la main, installé avec son épouse sur la terrasse de son château viticole en ce matin de mai. C’était une immense surprise. » Une fierté, aussi, car, comme toute la population géorgienne, l’homme revendique sa solidarité avec les Ukrainiens : « On a le même ennemi. La Russie a aussi envahi la Géorgie [lors d’une guerre éclair en août 2008] et occupe toujours 20 % de notre territoire. »
Le cliché marque aussi le début des ennuis pour le vigneron. Un blogueur russe le repère à son tour et le fait circuler sur ses réseaux, en accusant Giorgi Piradachvili de financer le conflit. Le nom du producteur atterrit sur une liste du FSB, les services de sécurité russes. « C’est devenu dangereux pour moi. Ils savent très bien où j’habite et pourraient venir me chercher ici, s’inquiète-t-il. C’est tellement absurde. Tout ça parce que je vends du vin ? » Ses clients russes, mal à l’aise, annulent alors leurs commandes, craignant des représailles du Kremlin. Mais Giorgi Piradachvili a beau défendre la cause ukrainienne, c’est avant tout un homme d’affaires pragmatique et rusé.
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