La réforme des retraites imposée à marche forcée par le gouvernement et, surtout, le président de la République en 2023 a causé une triple fracture, dont la cicatrice ne disparaîtra jamais. La fracture est d’abord sociale, en raison du passage en force, en dépit de toute négociation avec les partenaires sociaux. La fracture est également démocratique, tant les citoyens paraissaient majoritairement et frontalement hostiles à cette réforme qui les concerne tous (ou presque), l’absence de concertation dans la réalisation de la réforme n’ayant pas favorisé leur adhésion. Enfin, la fracture est institutionnelle et parlementaire, la voie procédurale choisie et les leviers juridiques mobilisés ayant permis d’imposer une réforme contre la volonté de la majorité parlementaire. On se souvient ainsi du cumul des mécanismes des articles 47-1 (loi de financement rectificative de la Sécurité sociale, permettant des contraintes procédurales), 44.3 (vote bloqué) et 49.3 de la Constitution (absence de vote), auxquels s’ajoutent les ressorts des règlements des Assemblées.
Autant d’éléments mobilisés dans le plus strict respect de la Constitution, ainsi que l’a confirmé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 14 avril 2023, mais dont le cumul ne traduit certainement pas une volonté de permettre un processus délibératif éclairé ni celle d’aboutir à une réforme qui soit démocratiquement débattue. En particulier, l’un des éléments centraux de la réforme, l’âge légal reporté de 62 à 64 ans, n’a jamais fait l’objet d’un débat à l’Assemblée nationale, alors qu’il va concerner toutes les personnes prétendant à la retraite en France.
Aujourd’hui, cette réforme, adoptée mais non délibérée, s’impose. Toutefois, elle n’est toujours pas acceptée par de nombreuses forces politiques, par de nombreux partenaires sociaux, par une grande partie de la société.
Eu égard à la composition actuelle de l’Assemblée nationale, le premier ministre avait pris deux engagements : d’une part, convoquer un « conclave », permettant un débat entre les partenaires sociaux sur des aménagements possibles de cette réforme, « sans totem ni tabou » selon ses propres mots, et, d’autre part, soumettre les résultats de ce conclave à la représentation nationale, pour qu’elle puisse se prononcer. Il s’agissait là, évidemment, d’une stratégie permettant à François Bayrou de s’assurer, si ce n’est d’un soutien majoritaire à l’Assemblée nationale, au moins d’une absence de censure votée à la majorité absolue.
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