Sept mois après le passage dévastateur de Chido, le Parlement a définitivement adopté, jeudi 10 juillet, le projet de loi pour « refonder » Mayotte, département le plus pauvre de France confronté avant même le cyclone à d’immenses défis. Un ultime vote favorable du Sénat, à 228 voix contre 16, a permis à ce texte d’aboutir. Il doit désormais être promulgué par le président de la République.
Ce texte constituera « une étape vers une meilleure protection des Mahorais, vers l’égalité réelle, vers un développement concret et puissant du territoire au service de la population », a salué le ministre des outre-mer, Manuel Valls.
Cette « loi-programme » décline notamment 4 milliards d’euros d’investissements publics sur six ans et inscrit pour la première fois dans la loi la convergence sociale, c’est-à-dire l’alignement des droits sociaux avec les montants de l’Hexagone, à l’horizon 2031. A Mayotte, 77 % de la population vit sous le seuil de pauvreté national, et le RSA, par exemple, y est encore deux fois plus bas.
Dernier texte de loi à passer au Parlement avant la pause estivale, il vient clore une session parlementaire extraordinaire assez fructueuse pour le gouvernement, qui aura réussi à faire aboutir plusieurs textes malgré son absence de majorité à l’Assemblée nationale.
Lutte contre l’immigration clandestine et l’habitat illégal
Cette loi pour « refonder Mayotte », fruit d’un compromis entre députés et sénateurs, avait été validée mercredi par les députés, avec le soutien de la coalition gouvernementale et de l’extrême droite. Le Rassemblement national, très mobilisé durant les débats, a même revendiqué « une victoire politique ». Mais la gauche, à l’Assemblée comme au Sénat, s’est partagée entre opposition et abstention, mettant notamment en cause, par la voix de plusieurs parlementaires, « l’obsession » pour l’immigration du projet de loi.
Le texte s’attaque en effet à deux « fléaux », la lutte contre l’immigration clandestine et l’habitat illégal, « sans quoi » Mayotte risque d’être reconstruite sur du « sable », selon les mots de Manuel Valls. Il prévoit par exemple de durcir les conditions d’obtention d’un titre de séjour alors que près de la moitié de la population y est étrangère. Plusieurs dispositions permettent de faciliter la destruction des bidonvilles, alors qu’un tiers de l’habitat est informel. Une mesure permet par exemple de déroger à l’obligation d’une offre de relogement au moment d’une évacuation.
« A Mayotte, le droit commun ne s’applique plus. C’est devenu un laboratoire sécuritaire où l’on teste des lois que l’on n’oserait jamais appliquer ailleurs en France », s’est indignée la sénatrice (Les Ecologiste) Antoinette Guhl.
Suppression du visa territorialisé
Le projet de loi prévoit en outre plusieurs mesures très attendues sur l’archipel. D’abord, la suppression d’ici à 2030 du visa territorialisé, qui empêche un détenteur d’un titre de séjour mahorais de venir dans l’Hexagone. Les Mahorais y voient une injustice et un manque de solidarité de la France métropolitaine face à l’afflux massif d’immigrés clandestins venus notamment des Comores voisines.
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Le recensement exhaustif de la population à Mayotte dès 2025 est aussi inscrit dans la loi. Depuis des années, les élus locaux affirment que la population est sous-estimée avec pour conséquence des collectivités moins bien dotées qu’elles ne devraient l’être et des services publics saturés.
Autre victoire pour les élus mahorais, la suppression de l’article facilitant les expropriations pour permettre la construction d’infrastructures dites essentielles. Cette mesure, ardemment défendue par le gouvernement et initialement votée par le Sénat, a provoqué une levée de boucliers sur l’archipel, les Mahorais s’inquiétant d’une mainmise de l’Etat sur le foncier.
Pour certains parlementaires, le texte passe aussi à côté de nombreux enjeux de développement, notamment sur l’eau, la transition écologique et la santé. La députée mahoraise Anchya Bamana (Rassemblement national) a par exemple rappelé que Mayotte vit toujours sous le régime des coupures d’eau, avant de lancer : « Comment justifier 1 milliard [d’euros] pour se baigner dans la Seine, mais rien pour répondre à l’urgence de l’accès à l’eau potable pour les Mahorais ? »