Une énigmatique réaction allergique au cabinet dentaire

C’est l’histoire d’un garçon de 12 ans adressé dans un service de pneumo-allergologie
pédiatrique pour suspicion d’allergie à un anesthésique local lors d’un soin dans un cabinet dentaire. Il n’a aucun antécédent allergique : pas d’eczéma, d’asthme, de rhinite ou de conjonctivite allergique, ni d’allergie alimentaire. En outre, il avait déjà bénéficié d’anesthésies locales lors de soins dentaires, sans jamais présenter de réaction.

Chez son dentiste, le garçonnet a eu une anesthésie locale à base d’articaïne, un anesthésique que l’on associe à de l’adrénaline pour prolonger son effet. Une vingtaine de minutes après l’intervention, il a présenté une urticaire étendue, un gonflement des lèvres, une rougeur des yeux accompagnée d’un gonflement des paupières, une gêne au niveau de la gorge et un vomissement. Il a été pris en charge en urgence par le SAMU, environ 20 minutes après le début de la réaction, qui a notamment été traitée par l’administration d’adrénaline en intramusculaire.

Ce jeune patient a développé ce qu’on appelle une anaphylaxie de grade 2, c’est-à-dire
une réaction allergique avec atteinte modérée d’au moins deux organes (peau, voies
aériennes, appareil digestif). Les symptômes ont disparu environ une demi-heure après
le début de la réaction.

Les médecins se demandent alors ce qui a bien pu déclencher cette énigmatique réaction
anaphylactique ? Était-ce l’anesthésique utilisé ? Pour en avoir le cœur net, ils testent un autre produit de la même famille, la lidocaïne. Mais ce test ne provoque aucune réaction, ce qui exclut une allergie à la lidocaïne et rend donc l’articaïne moins suspecte.

Le latex suspecté dans un premier temps

Les allergologues poursuivent leur enquête avec une série de tests cutanés (prick-tests). Surprise : ils trouvent une réaction positive au latex. Mais en refaisant le test sur une peau non désinfectée, le résultat du prick-test s’avère négatif. Cela leur met la puce à l’oreille : ce n’est peut-être pas le latex le coupable… mais plutôt le désinfectant utilisé pour nettoyer la peau avant les tests : la chlorhexidine, un antiseptique largement utilisé en médecine et en dentisterie dans la prévention des infections nosocomiales en milieu péri-opératoire.

En reprenant l’interrogatoire du jeune patient, un détail jusque-là passé inaperçu refait surface : juste avant l’anesthésie locale gingivale, le patient avait fait un bain de bouche…
contenant de la chlorhexidine comme antiseptique ! Ni le dentiste ni l’enfant ne l’avaient
signalé. Aucun des deux n’avait considéré le bain de bouche comme un traitement médicamenteux.

Le prick-test positif à la chlorhexidine

Les médecins réalisent alors un prick-test à la chlorhexidine et effectuent une prise de sang afin de déterminer le taux d’anticorps IgE dirigés contre l’antiseptique. Cette fois, les résultats sont sans appel : le patient est bel et bien allergique à la chlorhexidine.

Tout s’explique : la chlorhexidine contenue dans le bain de bouche est passée dans la circulation générale à la faveur de la brèche créée dans la gencive lors de l’anesthésie locale. C’est donc bien l’antiseptique, en période péri-opératoire, qui a déclenché la réaction anaphylactique au cabinet dentaire.

Publié en avril 2025 dans la Revue Française d’Allergologie, ce cas clinique souligne la nécessité de mener une enquête systématique et exhaustive dans les bilans d’hypersensibilités médicamenteuses afin de ne pas passer à côté d’une cause rare. Il importe ainsi de tester systématiquement tous les médicaments auxquels le patient a été exposé.

« La chlorhexidine est une cause d’anaphylaxie péri-opératoire à ne pas négliger. Sa présence ‘masquée’ dans les produits utilisés au bloc opératoire ou en soins dentaires doit être précautionneusement recherchée et son implication systématiquement explorée lors des bilans allergologiques, y compris lorsque le patient utilise sans problème la chlorhexidine sur une peau ou des muqueuses saines », concluent Eloïse Seigle-Ferrand et ses collègues de l’hôpital Femme Mère Enfant (hospices civils de Lyon).

À ce propos, les médecins découvriront qu’après son soin dentaire, le jeune garçon avait de nouveau utilisé de la chlorhexidine, l’antiseptique étant cette fois appliqué sur la peau pour de petites plaies superficielles, sans qu’aucune réaction ne survienne. L’année précédant l’épisode d’anaphylaxie, il avait d’ailleurs eu une large plaie superficielle à la cuisse, soignée pendant plusieurs semaines avec ce même produit, toujours sans problème.

Suite à ce diagnostic d’allergie à la chlorhexidine, ces cliniciens lyonnais la contre-indiquent, ainsi que tout produit désinfectant en contenant, en cas de brèche cutanée ou muqueuse, et proposent comme alternative la povidone iodée (type bétadine).

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