VÉRIF’ – Une carte française montre-t-elle le « partage de l’Ukraine » après la guerre ?

• Une carte attribuée à l’état-major des armées françaises aurait fuité sur les réseaux sociaux.
• Celle-ci montrerait le « partage » de l’Ukraine envisagé après la guerre par les Européens.
• Le document est un faux.

Si les Européens défendent l’Ukraine face à l’invasion russe c’est parce qu’ils prépareraient en réalité « un plan secret d’occupation de l’Ukraine ». C’est en tout cas ce que prétendent de nombreux relais de la propagande russe et comptes proches de cette sphère. D’après des publications (nouvelle fenêtre)apparues depuis le mardi 9 septembre, des « hackers » russes auraient « dévoilé une carte secrète » créé par la Coalition des volontaires, du nom de cette initiative qui vise à soutenir l’Ukraine contre l’invasion russe et assurer sa sécurité en cas de cessez-le-feu.

Dans le détail, les internautes qui relaie ce document assurent que la France, le Royaume-Uni, la Pologne et la Roumanie prévoient de déployer des troupes (nouvelle fenêtre)non pas pour défendre les termes de tout accord de paix, mais pour s’emparer des « ressources » du pays et de « son accès à la mer ». « La France prend les régions riches en ressources minérales, la Grande-Bretagne contrôle la logistique, et la Pologne avec la Roumanie obtiennent un accès à la mer et des territoires frontaliers », conclut ainsi un internaute (nouvelle fenêtre). D’où vient cette carte ? Que sait-on de cette prétendue fuite ? Nous avons vérifié.

Un groupe de « faketivist » à l’origine de la carte

Toutes les images diffusées en ligne portent un seul et même filigrane, qui renvoie vers le média russe Mash. D’après nos recherches, c’est sur ce canal Telegram qu’apparait pour la première fois cette carte, dès mardi matin, à 7h (nouvelle fenêtre). La légende indique que le document daterait du 16 avril dernier et aurait été obtenu « par les hackers de KillNet à la suite du piratage du réseau local du bureau des forces armées françaises ». Dans le coin en bas à droite de l’image, le nom du général Thierry Burkhard (nouvelle fenêtre), ancien chef d’état-major des armées, est inscrit. Une carte produite par la « coalition des oppresseurs », ironise le média. 

Le média Mash n’a rien d’anodin. Chaine Telegram parmi les plus populaires du pays (nouvelle fenêtre), son propriétaire est un proche du Kremlin (nouvelle fenêtre). Considéré comme proche des services de sécurité du pays, c’est ce média qui a produit à de très nombreuses reprises de faux contenus. Ainsi, il prétendait révéler en août 2023 (nouvelle fenêtre)que Kiev organise un trafic d’organes des soldats blessés en s’appuyant sur des annonces falsifiées. Plus récemment, c’est aussi ce compte qui annonçait à tort (nouvelle fenêtre)l’existence de documents attestant de la mort au combat de 1,7 million d’Ukrainiens. Des rumeurs à chaque fois créées de toute pièce pour servir le narratif russe.

L’information est d’autant plus douteuse que le groupe de hackers mentionné, KillNet, n’a pas la réputation d’être un groupe capable de s’en prendre à l’état-major français. Comme nous l’expliquait Pierre Delcher dans cet article (nouvelle fenêtre), il s’agit plutôt de « faketivist », c’est-à-dire des groupes « qui prétendent soutenir par leur propre volonté l’un ou l’autre des camps », mais qui sont en réalité « des relais de propagande institutionnels ». Auprès de TF1info, ce responsable de la recherche sur les menaces chez HarfangLab (nouvelle fenêtre)rappelle que ces hackers ne disposent pas de la « capacité à mener des intrusions avec un impact fort ».

Une carte aux très nombreuses erreurs

Alors si elle n’est pas le fruit d’une fuite de documents, d’où provient cette carte ? Difficile de le savoir avec certitude. Mais une chose est sûre. Elle ne peut pas provenir des rangs français : les noms des villes et des pays ne concordent pas. Comme le démontrent les deux images ci-dessous, des dizaines de différences sont notables entre le document à gauche – apparu dans des canaux russes ce mardi – et la carte de droite, publiée par le ministère des Armées le 14 avril dernier (nouvelle fenêtre).

Entre autres exemples, la ville de Kharkiv (nouvelle fenêtre)devient « Kharkov » et celle de Zaporizhia est transformée en « Zaporozhye ». Autant d’orthographes qui correspondent à la toponymie russe. La Biélorussie voisine – orthographe « recommandée » (nouvelle fenêtre)par l’Etat français dans toutes les insitutions (nouvelle fenêtre) – est quant à elle transformée en « Biélarus », un nom qui n’existe pas en français.

Autre élément étonnant, les frontières de l’Ukraine ne reflètent pas celles reconnues par la communauté internationale. Sur la carte apparue en ligne, la Crimée (nouvelle fenêtre)est représentée comme appartenant intégralement à la Russie, tandis qu’elle est considérée comme une région ukrainienne « sous contrôle russe » par la France et ses alliés. 

En résumé, la source de cette information est peu fiable. Le canal qui la partage ainsi que le groupe à l’origine de la prétendue fuite font tous les deux partie des relais notoires de la propagande russe. Les indices visuels démontrent quant à eux que cette carte n’a rien d’authentique et qu’elle a pu au contraire être falsifiée par des acteurs pro-russes. Interrogé pour en savoir plus sur l’origine de cette carte, l’état-major des Armées n’est pas revenu vers nous dans l’immédiat.

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