- Donald Trump intensifie aux États-Unis sa pression sur les médias américains.
- Dernier épisode en date : l’éviction de l’animateur star Jimmy Kimmel de la chaîne ABC, mise sous pression de l’administration trumpiste.
- Le milliardaire républicain a trouvé de nombreux « leviers » pour intensifier son offensive contre les voix médiatiques dissonantes, explique à TF1info Alexis Pichard, chercheur en civilisation américaine.
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Le second mandat de Donald Trump
Il commentait l’actualité avec malice depuis plus de 20 ans tous les soirs. L’animateur star de la chaîne américaine ABC Jimmy Kimmel a été évincé de la présentation de son late-show
, mercredi 17 septembre. Son tort ? Avoir critiqué les partisans du président Donald Trump, lors d’une remarque à l’antenne au sujet de l’assassinat de l’influenceur conservateur Charlie Kirk. « Nous avons atteint de nouveaux sommets ce week-end, avec la clique MAGA
(Make America Great Again, ndlr) qui s’efforce désespérément de présenter ce jeune qui a assassiné
Charlie Kirk
comme quelqu’un d’autre qu’un des leurs et qui fait tout son possible pour en tirer un avantage politique
« , avait ainsi déploré Jimmy Kimmel. Depuis ces propos, l’émission est « suspendue pour une durée indéterminée
« .
De quoi réjouir Donald Trump, vexé de longue date par les traits d’esprit de l’animateur à son égard dans son programme. « Félicitations à ABC d’avoir enfin eu le courage de faire ce qui devait être fait
« , a-t-il salué, sur son réseau Truth Social. « Kimmel n’a AUCUN talent.
» Au-delà de la satisfaction affichée du milliardaire républicain, l’accélération d’une stratégie toujours plus agressive de la Maison Blanche à l’égard des médias inquiète outre-Atlantique. À ce titre, la mise à l’écart de Jimmy Kimmel est emblématique d’une volonté plus vaste du clan trumpiste de contrôler les voix dissonantes à son propre discours.
Un trumpiste à la tête de l’Arcom américain
Si Donald Trump a depuis longtemps les late-shows
dans le collimateur, les moyens déployés par son camp pour tenter d’arrêter leur diffusion sont aujourd’hui démultipliés. L’acteur clé de cette nouvelle méthode ? La Federal Communications Commission
(FCC), chargée de la régulation des contenus de l’audiovisuel américain – un rôle équivalent, en somme, à celui de l’Arcom en France. Son président Brendan Carr est un fervent partisan de Donald Trump, qui l’a lui-même nommé à la tête de l’instance. À son arrivée à son poste, il avait assuré vouloir « démanteler
» le « cartel de la censure
» selon lui mis en place outre-Atlantique.
Après les propos de Jimmy Kimmel sur Charlie Kirk, Brendan Carr a publiquement mis la pression sur le diffuseur de son émission, ABC, une propriété du groupe Disney. Dans un podcast animé par la figure d’extrême droite Benny Johnson, le dirigeant avait laissé entendre que son institution serait prête à suspendre les autorisations de diffusion de la chaîne. « Ces entreprises peuvent trouver des moyens de prendre des mesures
contre Kimmel
, sinon la FCC aura du travail supplémentaire à venir »
, avait-il menacé.
Pressions économiques
Autre paramètre : le réseau Nextstar, qui possède 32 chaînes locales affiliées à ABC, a aussi annoncé stopper la diffusion de l’émission après la sortie polémique de l’animateur. Dans le même temps, le groupe négocie depuis plusieurs semaines pour racheter un de ses concurrents aux États-Unis, Tegna. Une opération qui ne peut être finalisée sans l’approbation… de la FCC. Y aurait-il un lien de cause à effet entre la décision de Nextstar à l’encontre du « Jimmy Kimmel Live » et ce projet d’acquisition ? « Non
« , défend un haut responsable de Nextstar, Garu Weitman, cité par Variety
(nouvelle fenêtre).
Il n’empêche : le contexte de l’éviction du présentateur rappelle le cas de l’annulation d’un autre late-show
mené par un célèbre animateur, Stephen Colbert (nouvelle fenêtre). Début juillet, l’humoriste, régulièrement critique envers Donald Trump, a appris que son émission, dont il était à la tête depuis 2015, ne serait pas reconduite en 2026 sur CBS, une autre géante de la télévision américaine. Là encore, le groupe Paramount, qui possède la chaîne, était en passe d’être racheté par un autre conglomérat, Skydance. Pour valider le projet, la FCC a exigé « des mesures de nature à corriger les biais qui ont sapé la confiance [du public] dans les médias nationaux
« , en l’occurrence au sein de CBS.
L’instance a obtenu gain de cause : l’émission de Stephen Colbert a donc été supprimée – une décision justifiée par des raisons « purement financières
« , d’après la chaîne. « Donald Trump a conditionné différentes fusions acquisitions à la ligne éditoriale de certains médias
« , explique à TF1info Alexis Pichard, chercheur en civilisation américaine à l’université de Nanterre et auteur de « Trump et les médias. L’illusion d’une guerre ? » (ed. Valeurs Ajoutées). « On voit que des médias assez critiques durant le premier mandat de Donald Trump sont désormais prêts à capituler dans ce second mandat, car ils sont pris à la gorge.
«
Influenceurs pro-Trump à la Maison-Blanche
Les attaques de Donald Trump contre les médias ne se limitent au petit écran. Le président républicain vient d’engager des poursuites judiciaires contre le New York Times
et plusieurs de ses journalistes. Il réclame au quotidien 15 milliards de dollars, l’accusant de « diffamation » et de répandre de « fausses informations
» à son sujet – en particulier au sujet de ses liens avec le criminel sexuel Jeffrey Epstein. Dès son premier passage à la Maison-Blanche, Donald Trump avait multiplié les réprimandes à l’égard de la presse traditionnelle. Mais son second mandat est marqué par une rhétorique agressive encore plus prononcée.
Par rapport à sa précédente présidence, « Donald Trump attaque beaucoup plus en justice les médias qui semblent lui porter préjudice
« , développe Alexis Pichard, citant ici un autre des « leviers
» utilisés par le clan MAGA contre les journalistes. « Dans certains cas, les médias cèdent – même s’il s’agirait de procès qu’ils seraient a priori sûrs de gagner. Pour essayer de ne pas ne se mettre à dos Donald Trump, ils préfèrent verser de sommes préalables et ainsi éviter un procès.
»
Une tentative visant à étouffer et à décourager le journalisme indépendant
Une tentative visant à étouffer et à décourager le journalisme indépendant
Une porte-parole du « New York Times », réagissant aux poursuites engagées par Donald Trump contre le quotidien
De son côté, le New York Times
ne fléchit pas, pour le moment, et condamne une « tentative visant à étouffer et à décourager le journalisme indépendant
« . « Nous continuerons à rechercher la vérité sans crainte ni favoritisme et à défendre le droit des journalistes,
garanti par le premier amendement
, de poser des questions au nom du peuple américain
« , a ajouté une porte-parole du quotidien. L’appui inébranlable d’une galaxie de plateformes ultraconservatrices permet aussi à Donald Trump et ses soutiens de bénéficier d’une caisse de résonance nécessaire à son narratif anti-médias traditionnels.
Preuve du brouillage des rôles entre communication et journalisme, les conditions d’accès aux conférences de presse de la Maison-Blanche ont été facilitées pour de nombreux influenceurs pro-Trump. À l’inverse, l’agence de presse AP a de son côté vu ses entrées restreintes au printemps au sein de la présidence américaine. En cause ? Le média n’acceptait pas d’actualiser le nom de « golfe du Mexique » en « golfe de l’Amérique », comme décidé par le président américain. Les contraintes imposées par l’administration républicaine à AP ont depuis été jugées inconstitutionnelles par un juge.
Face à ces attaques contre la presse, les démocrates tentent de réagir. Plusieurs élus ont annoncé le dépôt prochain d’une proposition de loi destinée à « protéger la liberté d’expression
« , consacrée par le premier amendement de la Constitution des États-Unis. Il faut dire que Donald Trump ne semble pas se contenter des récentes évolutions du paysage médiatique américain à son avantage. Sur Truth Social, l’homme d’affaires a sommé la chaîne NBC de mettre un terme aux programmes de deux autres illustres animateurs, Jimmy Fallon et Seth Meyers, les qualifiant de « deux gros losers
» aux « audiences désastreuses
« .