- En salles ce mercredi, le nouveau film de Paul Thomas Anderson est librement inspiré de « Vineland », du romancier Thomas Pynchon.
- Cette superproduction déjantée, aussi drôle que terrifiante, est portée par une mise en scène virtuose et un casting épatant.
- Satire de l’Amérique trumpiste, c’est un classique instantané dont on n’a pas fini de parler.
Vous aimez le cinéma américain, le grand, le vrai, pas la version lyophilisée qui a transformé les succès de notre enfance en franchises sans âme et sans idées ? Foncez voir Une bataille après l’autre
, le nouveau Paul Thomas Anderson, PTA pour les intimes ! C’est drôle, brutal, bouleversant… et terriblement d’actualité, comme une réponse en temps réel aux tourments d’une nation polarisée comme jamais. Amoureux fou de Vineland
, le roman culte de l’écrivain mystérieux Thomas Pynchon, le réalisateur de Boogie Nights
et Magnolia
rêvait de le porter à l’écran depuis sa parution au début des années 1990, après avoir déjà adapté Inherent Vice
avec un succès mitigé. Remise au goût du jour et simplifiée par rapport à l’œuvre d’origine, l’intrigue de son film en reprend le cœur battant, la relation fusionnelle entre un père et sa fille, soudainement séparés par les fantômes du passé, prélude à une course-poursuite d’enfer.
Une bataille après l’autre
commence par un coup d’éclat, la destruction d’un centre de détention de migrants illégaux par les membres du French 75, un groupe d’activistes révolutionnaires dont le discret Bob Ferguson (Leonardo DiCaprio) est le maître artificier, sa compagne Perfidia (Teyana Taylor), l’égérie bruyante et sexy. Au cours de cette opération éclair, la jeune femme humilie à sa manière Steven J. Lockjaw (Sean Penn), le militaire en charge des lieux, un redneck raciste… qui en pince en secret pour les Afro-Américaines. Mauvaise idée. Très mauvaise idée. De ce triangle scandaleux va naître une fillette, Willa, avec laquelle Bob sera contraint de prendre la tangente avant de l’élever sous une fausse identité dans la ville fictive de Baktan Cross. Jusqu’au jour où son vieux rival refait surface.
Adoubé par Spielberg et Scorsese
Ces derniers mois, la presse hollywoodienne a essentiellement parlé du nouveau film de Paul Thomas Anderson sous l’angle économique, le cinéaste s’étant vu allouer le plus gros budget de sa carrière, autour de 140 millions de dollars, alors que son plus grand succès, le phénoménal There Will Be Blood
avec Daniel Day-Lewis, n’en a remporté que 76… en 2007 ! Depuis, il faut bien dire que ce discret mais doué Californien de 55 ans n’a pas franchement fait trembler le box-office, privilégiant des sujets qui lui tiennent à cœur comme The Master
, vrai-faux biopic du fondateur de la scientologie L. Ron Hubbard ou Phantom Thread
, sur la romance ambiguë entre un couturier anglais des années 1950 et son modèle. Ou plus récemment le délicieusement nostalgique Licorice Pizza
, inspiré par son adolescence à L.A.
Au cours de l’été, la décision de la Warner de sortir Une bataille après l’autre
sans passer par la case d’un grand festival a été perçue comme une forme de reniement vis-à-vis d’un projet aussi hors norme que coûteux. Un bon gros flop en perspective, pour résumer. Lorsque le studio a finalement organisé de premières projections pour la presse, voilà moins de trois semaines, les premiers échos ont totalement inversé la tendance. Et mieux encore. Adoubée publiquement par Steven Spielberg et Martin Scorsese, cette superproduction complètement folle est un petit miracle, désormais précédé du titre de meilleur film américain de l’année, favori naturel à la prochaine cérémonie des Oscars dans toutes les catégories, ou presque.
Au terme de 2h40 et des poussières qu’on ne voit pas passer, la banane jusqu’aux oreilles, on s’est rendu à l’évidence : Une bataille après l’autre
est bel et bien le chef-d’œuvre annoncé, le genre de classique instantané qu’on meurt d’envie de revoir le plus vite possible. Et qu’on prendra un plaisir fou à partager avec nos amis, nos enfants et même nos pires ennemis. Plusieurs raisons à cela. D’abord la mise en scène de Paul Thomas Anderson, aussi virtuose dans les moments d’intimité que dans les séquences à grand spectacle, magnifiée par la BO tout en dissonances et percussions de Jonny Greenwood de Radiohead. Attention spoiler : la poursuite finale est la plus irrespirable du cinéma américain depuis le mythique Duel
de Spielberg.
Ensuite, son fabuleux mélange des genres, en équilibre permanent entre la satire féroce, la grande fresque sentimentale et le thriller pur. Le brio des acteurs, bien sûr. Depuis The Revenant
, Leonardo DiCaprio est entré dans sa phase loser magnifique, avec des performances inoubliables dans Once Upon a Time… in Hollywood
ou Don’t Look Up
. Irrésistible en papa hippie prêt à tout pour retrouver sa fille, le plus grand acteur de sa génération sort une nouvelle fois le grand jeu face à deux magnifiques révélations, la furie Teyana Taylor et la jeune Chase Infiniti en héritière de la violence.
Sean Penn dans le rôle de sa vie
Mais celui qui justifie presque à lui tout seul l’achat d’un billet pour Une bataille après l’autre
, c’est Sean Penn. Entre sa succession récente de nanars en tant que réalisateur, et sa métamorphose un brin mégalo en défenseur de la démocratie, on a failli oublier de quoi était capable l’acteur deux fois oscarisé de Mystic River
et Harvey Milk
. Lui aussi peut-être ? Après une pige dans Licorice Pizza
, Paul Thomas Anderson lui a confié ce qui pourrait bien être le rôle le plus mémorable et complexe de sa carrière. À la fois tragique, pathétique et terrifiant, son Lockjaw synthétise le pire de l’Amérique trumpiste.
Mâchoire serrée, pectoraux saillants, la mèche toujours bien peignée, ce Popeye débile, déterminé rejoindre à rejoindre un club secret de riches suprémacistes, ferait presque sourire si ses propos ne faisaient écho aux discours décomplexés du clan MAGA. Paul Thomas Anderson n’a jamais été considéré comme un cinéaste politique à la Oliver Stone ou à la Costa-Gavras. Mais avec Une bataille après l’autre
, il est parvenu à convoquer sa passion pour les destins tragiques, l’humour absurde et les petits travers de l’existence pour signer une œuvre qui tombe à pic pour nous divertir et nous faire réfléchir dans un même élan sur notre époque turbulente. Qu’est-ce qu’on dit ? Ben Thank you
, Monsieur PTA !
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Une bataille après l’autre de Paul Thomas Anderson. Avec Leonardo DiCaprio, Sean Penn, Teyana Taylor, Chase Infiniti. 2h42. En salles.