Des moments forts, la fashion week parisienne printemps-été 2026 n’en a pas manqué. En plus des défilés faramineux au pied de la tour Eiffel ou au Louvre, des coups d’éclat de designers chevronnés et des cohortes de fans en quête de célébrités, cette saison a été marquée par les nombreux premiers essais de nouveaux directeurs artistiques. Parmi eux, le plus attendu est aussi le dernier. Il s’agit des premiers pas de Matthieu Blazy chez Chanel, dévoilés lundi 6 octobre à 20 heures au Grand Palais.
Ce défilé est particulièrement scruté parce que Chanel, avec ses 17,9 milliards d’euros de chiffres d’affaires en 2024, est une des plus grandes marques de luxe. Mais aussi parce qu’elle n’a pas bougé depuis très longtemps. Quand il en a pris la direction artistique en 1983, Karl Lagerfeld a mis en place une méthodologie alors novatrice : il a cherché dans les archives les traits les plus saillants des collections (le tweed, le noir et blanc, le camélia, le blé, les perles, le double C, etc.) et les a répétés au fil des saisons, variant les formes, les couleurs et les décors, mais pas le fond. Virginie Viard, qui lui a succédé en 2019, a poursuivi dans cette voie.
« Le prêt-à-porter fonctionne toujours très bien, toutefois on a pu sentir une légère lassitude sur certains looks [des dernières collections]. Les clientes étaient extrêmement pressées de voir ce que Matthieu [Blazy] allait proposer. C’est désormais le moment de toutes les audaces, où il faut prendre des risques », analyse Bruno Pavlovsky, président des activités mode de Chanel.


Etre la personne chargée de donner une nouvelle impulsion esthétique à la maison de la rue Cambon était perçu comme « le job du siècle » dans le secteur de la mode. Et c’est à Matthieu Blazy qu’il a incombé. Le Franco-Belge, qui a pris ses fonctions de directeur artistique en avril 2025, n’a que 41 ans et n’a piloté auparavant qu’une seule marque, Bottega Veneta, où il s’est distingué par sa capacité à jouer avec les matières, à faire de cette discipline un peu abstraite qu’est l’artisanat un terrain d’expression mode très personnel.
Pour Matthieu Blazy, le premier défi consiste à prendre possession du Grand Palais. Cet espace immense où Chanel organise ses shows depuis 2005, accueille le jour de son défilé 2 300 invités. Le designer trouve une manière très habile de l’habiller en recréant un système solaire composé d’une douzaine de planètes éclairées de l’intérieur, certaines suspendues sous la voûte d’acier et de verre, d’autres posées par terre. Leur reflet coloré, dans le sol de résine sombre et luisante, donne l’illusion d’observer la voie lactée. « Je voulais un décor universel, mais qui fasse rêver. On vit dans un monde compliqué et je me dis que mon rôle, c’est de rassembler. Tout le monde regarde le même ciel », détaille Matthieu Blazy.
Quelques épis de blé dorés éparpillés
Dès les premières silhouettes, il apparaît évident que le designer a trouvé un langage commun à lui et Chanel. Des vestes d’homme coupées au niveau des poches, à bords francs, se substituent aux habituelles petites vestes en tweed. Une chemise blanche masculine à col cassé et plastron contraste avec une jupe en coton à traîne noire. Quelques épis de blé dorés éparpillés sur une robe noire se balancent dans les airs au rythme des pas. C’est toute la beauté de l’héritage de Gabrielle Chanel révélé non pas seulement à travers l’usage des fameux codes, mais aussi à travers son élégance.
Il y mêle des éléments propres à son travail, notamment des expérimentations textiles. La trame du tweed (la manière dont les fils de laine sont tissés entre eux) est utilisée pour construire des gilets en maille souple et aérés. Sur certains tailleurs, on dirait qu’il a zoomé sur la matière ; les fils de laine semblent agrandis et cette opération transforme complètement leur allure, ils pourraient sortir de la rue Cambon, mais aussi être l’œuvre d’un artisan d’Amérique du Sud, d’Afrique ou d’Asie. « La femme Chanel est partout dans le monde, elle est universelle », défend Matthieu Blazy. La dernière silhouette, « un bouquet de fleurs flamand » comme il le décrit, symbolise bien la générosité de son travail. On peut regretter que le gigantisme des lieux ne permette pas de voir les vêtements de près, car on les devine pleins de détails discrets, d’intentions secrètes destinées à celles qui les portent.


A quoi tient un tel succès ? Au fantastique patrimoine laissé par Gabrielle Chanel, au talent de Matthieu Blazy, mais aussi sans doute à son intronisation en douceur. « Quand je suis arrivé, j’ai commencé à travailler sur le défilé, mais en parallèle, j’ai aussi fait une précollection et une autre Coco beach [destinée à la plage]. Techniquement, celle-ci est ma troisième collection. D’avoir pu travailler avec le studio sur les deux précédentes, ça m’a vraiment aidé à comprendre comment ça fonctionne ici », explique le designer.
Bien accompagné, Matthieu Blazy a parfaitement réussi sa mission de « créer une étincelle chez Chanel » comme le dit Bruno Pavlovsky. Reste à voir si les clientes de la maison, dont les habitudes vont être fortement bousculées, vont s’y retrouver.