C’est un nouveau fait politique inédit dans une période qui n’en manque pas. Dans la nuit de vendredi 21 à samedi 22 novembre, la première partie du projet de loi de finances, celle concernant les recettes, a été rejetée à la quasi-unanimité des députés. Du jamais-vu sous la Ve République. C’est surtout l’abstention massive du bloc central qui interroge : quel est donc ce pays où les groupes censés soutenir le gouvernement ne votent pas un texte budgétaire ?
Dans cette configuration, Sébastien Lecornu, le premier ministre, apparaît bien isolé. Le chef de gouvernement « le plus faible » de la Ve République – selon ses termes – ne détient pas de majorité, ce qui l’a incité, dès sa prise de fonctions, à entamer des échanges avec les oppositions et les partenaires sociaux. Cette « méthode Lecornu », faite de dialogue et de concessions – le renoncement à recourir à l’article 49.3 de la Constitution ou la suspension de la réforme des retraites –, vise à trouver une voie de passage pour s’assurer au moins de la neutralité du Parti socialiste (PS). De son côté, le parti à la rose revient au centre du jeu politique et s’autonomise de son rival radical, La France insoumise (LFI). Mais ce procédé, qui s’appuie sur le parlementarisme, n’a pas encore eu les effets escomptés.
Les parlementaires portent une lourde responsabilité dans cette situation. LFI et Rassemblement national parient sur un échec du gouvernement pour revenir le plus vite possible aux urnes. Le camp gouvernemental et la droite n’ont cessé de repousser toute avancée substantielle vers des mesures fiscales visant les plus riches, qui auraient pu satisfaire une partie de la gauche. Les socialistes, eux, avaient fait du renoncement au 49.3 l’une de leurs demandes prioritaires. Mais, rejetant toute idée de « compromis historique » avec le centre dans la crainte de se faire piéger, le PS est désormais dans une position intenable : au regard de ses partenaires de gauche, il est allé trop loin. Pour le gouvernement, sa fiabilité reste à prouver. Plusieurs voix écologistes et socialistes demandent qu’un accord global soit trouvé avec le bloc central pour permettre l’adoption du budget et sortir de la crise.
Facteur de paralysie
En attendant, Sébastien Lecornu creuse son sillon. Se disant convaincu qu’une majorité existe sur certains sujets, il veut ouvrir le débat, à l’Assemblée nationale, sur cinq « priorités absolues » – le déficit, la réforme de l’Etat, l’énergie, l’agriculture, ainsi que la sécurité intérieure et extérieure –, puis demander à l’ensemble des formations politiques et aux partenaires sociaux de se « positionner » sur ces thématiques.
Mais en a-t-il encore le temps ? La Constitution impose que les textes budgétaires soient promulgués avant le 31 décembre pour pouvoir entrer en vigueur le 1er janvier. Or, il reste un peu moins de quarante jours. Passé ce délai, les options pour le gouvernement sont soit l’adoption du budget par ordonnances (écartée par M. Lecornu), soit le recours, comme en 2024, à une « loi spéciale » qui organise le fonctionnement financier provisoire de la France jusqu’au vote d’un budget. Si cette solution évite un blocage de la France, elle ajoute à l’instabilité économique du pays, aggrave la crise politique et creuse le déficit. C’est aussi et surtout un facteur de paralysie, à l’heure où les crédits de la défense doivent être augmentés face à une menace russe de plus en plus prégnante. L’heure n’est plus aux manœuvres dilatoires.










