« Samedi 29 juin, c’était la Marche des fiertés à Paris. J’adore ce moment où on peut exhiber notre sexualité sans avoir peur. Comme à toutes les gay prides, on a fait trois minutes de silence en hommage aux victimes du sida. Mais c’était différent des autres années. Quelques secondes avant, il y avait un gros bordel, de la musique, la fête, la joie. Et tout à coup, avenue de Flandres, on a entendu les oiseaux chanter, des bruits de klaxon au loin. On était recueillis. Ces minutes, elles ont eu un goût particulier, comme si on vivait un dernier moment de liberté et d’unité. Les larmes me sont montées aux yeux. C’était très fort. On se regardait les uns les autres, l’air de dire : c’est bizarre, est-ce qu’on pleure parce qu’on a trop bu ? Cette pride, ce n’était pas qu’un moment pour être tout nu dans la rue, c’était tellement politique, plus encore que d’habitude. Comme si ici se jouait l’avenir du pays.
Je sens qu’une vague approche. Quand [Emmanuel] Macron a annoncé la dissolution [le 9 juin], avec mes amis allemands, on a eu l’impression d’être de retour en 1933, quand [le président] Hindenburg a dissous le Reichstag et ouvert la porte aux nazis. On sait tous comment ça a fini. Nous y revoilà. A quoi ça va ressembler si le RN [Rassemblement national] a la majorité absolue ? Je ne sais pas de quelle ampleur sera cette vague mais je sens qu’elle arrive. Est-ce qu’elle va vraiment nous engloutir ? Est-ce qu’en tant que personnes LGBT, on aura encore des droits ? Ne pas savoir ce qui nous attend me fait vraiment peur.
Etre gay, pour moi, c’est faire un coming out chaque jour. Ce n’est pas seulement ce que j’ai vécu quand j’avais 18 ans, ça se répète un peu tout le temps, à chaque nouvelle rencontre. J’ai grandi dans une bulle où être gay n’était pas un problème. Mais je me rends compte qu’à Cologne [en Rhénanie-du-Nord-Westphalie], d’où je viens, comme à Paris, c’est en train de changer. Dans certains endroits où je vais, je réfléchis à ma façon de m’habiller, est-ce qu’il faut que je “m’hétérorise” ? J’ai l’impression de devoir faire attention à ce que pensent les gens, je remarque qu’on me regarde bizarrement et que j’ajuste mon comportement. En général, je suis fier de donner la main à mon copain mais, en ce moment, il m’arrive de ne pas le faire. “Vivement dans trois semaines, on pourra casser du PD autant qu’on veut” : quand je lis ça sur les réseaux, je me demande jusqu’où ça va aller… La pression monte.
« Avec des gens qui me ressemblent »
Je suis très lucide, je sais que je ne vis pas la même réalité que tous ces Français qui votent RN. En tant que jeune homme blanc qui a un salaire correct, qui vit dans une grande ville, sans problème d’argent, je fais partie des privilégiés. D’ailleurs, si je me retrouvais face à quelqu’un qui vote RN, je serais sans armes. Je sais qu’il y en a beaucoup qui ne se croient pas racistes, qui votent ainsi parce qu’ils pensent pouvoir regagner du pouvoir d’achat. Et parce qu’ils ont peur de l’immigration, alors que dans plein d’endroits, ils ne la connaissent même pas. Ça m’est arrivé une ou deux fois dans ma vie de débattre de ces sujets. Mais quand moi, qui suis à l’aise financièrement et qui vis à Paris, je dis qu’il n’y a pas de raison d’avoir peur de la mixité, ça n’a pas de poids. Je me sens coupable, je me dis que, peut-être, je ne les comprends pas. Je n’ai pas les mêmes problèmes qu’eux. Alors je ne sers à rien, je ne peux ni les convaincre ni les aider ? Je ne veux pas excuser les gens qui votent RN, mais je me sens tellement désarmé face à leur réalité que je ne peux pas les juger.
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