Ils ne se connaissaient pas, ou si peu. Jordan Bardella, col roulé noir, costume sombre, vient pourtant de s’asseoir, ce 3 janvier, aux premiers rangs de l’église Saint-Ferdinand des Ternes, à Paris. Sorti d’un van noir avec Marine Le Pen, il est venu assister aux obsèques de Patrick Buisson. Buisson, le stratège de la prise du pouvoir par l’extrême droite. Qu’importent les obsessions antisémites et le racisme assumé de l’ancien patron du journal Minute, qu’importent les enregistrements illégaux réalisés à l’insu de Nicolas Sarkozy par son ancien conseiller à l’Elysée : les vrais disciples ou admirateurs de cette figure de l’extrême droite française sont venus lui rendre hommage.
Six mois plus tard, le Rassemblement national (RN) est en passe de devenir la première force de l’Assemblée nationale. La mort est venue cueillir Patrick Buisson trop tôt pour qu’il puisse observer cette première dans l’histoire de l’extrême droite : le 26 décembre 2023, il est retrouvé seul, chez lui, aux Sables-d’Olonne (Vendée), par sa femme de ménage, en pleine écriture d’un livre sur le « génocide vendéen », une autre de ses obsessions. La distribution de ces législatives n’est pas celle que prévoyait ce mentor de l’extrême droite française. Jusqu’à son récent accord avec le président des Républicains (LR), Eric Ciotti, la stratégie du RN – vaincre sans s’allier aux partis traditionnels – n’était pas non plus celle de Patrick Buisson, qui prônait l’union des droites depuis des décennies. Le triomphe du RN a néanmoins le goût d’une victoire posthume pour lui.
L’idéologue, inspiré par le penseur nationaliste Charles Maurras (1868-1952), s’est toujours entouré d’identitaires comme Eric Zemmour ou Marion Maréchal, surtout lorsqu’ils étaient catholiques, à l’image du Vendéen Philippe de Villiers, son complice de toujours – devenu aujourd’hui celui de Vincent Bolloré. Avec une belle assurance, Buisson expliquait en avril 2023 au Point que « jamais le RN n’arrivera[it] au pouvoir tant que Marine Le Pen en sera[it] la candidate » ou la représentante. Buisson était un antimoderne, et son combat contre le « déracinement cosmopolite », sa priorité. Les mesures sociales prônées par Jordan Bardella et Marine Le Pen pour conquérir l’électorat déçu par la gauche ne pouvaient lui convenir.
« Tu as percé parce que tu as su transgresser ! »
« Patrick Buisson a affirmé jusqu’au bout qu’elle ne pourrait jamais arriver au pouvoir, rappelle le directeur général délégué d’Ipsos, Brice Teinturier. Il ne croyait pas au positionnement populaire de la présidente du Rassemblement national et de Jordan Bardella. Il s’est à la fois trompé de casting et de stratégie électorale. » Pertinence des études d’opinion, portée du symbolique, nécessité de cultiver les rappels et la mémoire historique, acuité du clivage à
droite sur l’immigration et, surtout, importance de se battre sur le terrain des idées : sur tous ces thèmes, en revanche, son influence est flagrante. Les militants d’extrême droite reprennent aujourd’hui à leur compte le concept d’« hégémonie culturelle » de l’intellectuel communiste italien Antonio Gramsci (1891-1937), apprécié par Patrick Buisson.
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