Alors qu’un document de travail publié le 6 août par la Banque centrale européenne (BCE) constate qu’entre septembre 2018 et décembre 2022, les établissements bancaires de la zone euro ont davantage facturé les entreprises « brunes » que celles réputées « vertes », la BCE menace d’infliger des amendes aux banques qui n’identifient pas « correctement » leurs risques climatiques, comme l’a indiqué Frank Elderson, un des six membres du directoire de la BCE, dans un entretien au « Monde » du 25 juillet.
Pourquoi cette apparente contradiction ? Parce que les banquiers préfèrent gérer les risques ex ante en modulant les marges, plutôt qu’ex post en augmentant les fonds propres. A contrario, parce qu’elle veut se contenter d’identifier les risques, la BCE donne l’impression de préférer les compenser plutôt que de les éviter. Quand le cœur n’y est pas, la tête se trompe et le corps ne suit pas. Le cœur n’y est pas car, chaque fois qu’ils rappellent que le changement climatique est extrêmement préoccupant pour la stabilité financière, les responsables de la banque de Francfort s’empressent d’affirmer que leur mandat est de veiller à ce que les banques soient sûres et solides et non d’élaborer des politiques relatives au climat et à la nature.
« C’est l’affaire des politiciens, qui sont élus, alors que nous ne le sommes pas », déclare ainsi Frank Elderson dans le même entretien. On croirait entendre Jens Weidmann, l’ex-président de la Bundesbank, lorsqu’il déclarait le 19 novembre 2020 dans le Financial Times que les banques centrales pouvaient exiger de meilleures informations sur les risques climatiques, mais qu’elles ne pouvaient pas compenser le manque de volonté politique : « Les banques centrales ne peuvent pallier le manque de volonté politique (…). Lorsqu’il s’agit de sauver la planète, elles n’ont pas de baguette magique. »
Un procesus en cours mais sans astreinte
Aujourd’hui, trop d’acteurs publics considèrent que la lutte contre le changement climatique n’est pas de leur ressort, dans la mesure où, contrairement aux politiques, ils n’ont pas le pouvoir de changer la société. Chacun se renvoie la balle : les autorités de tutelle estiment qu’il faut avant tout changer le comportement des établissements sous leur contrôle, les banques considèrent qu’il faut d’abord modifier celui de leurs clients, et les politiques, présumant ces matières trop complexes, s’en remettent à l’expertise des régulateurs.
En conséquence, les menaces de la BCE ne semblent pas impressionner les établissements bancaires européens. Ayant constaté en 2021 que seulement 10 % d’entre eux évaluaient correctement leurs risques climatiques, la BCE a ainsi reporté l’échéance de leur mise en conformité à 2022. A cette date, comme le constat était sensiblement le même, la limite pour se mettre en conformité a été fixée à mars 2023.
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