La prévision est décidément un art difficile, surtout quand elle concerne l’avenir, et plus encore en période de crise. Les économistes de Bercy en savent quelque chose. Depuis la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine, les indicateurs conjoncturels sur lesquels ils s’appuient, notamment pour préparer le budget, ont perdu une part de leur pertinence. Les erreurs de prévision s’aggravent, et trouver de nouveaux modèles plus fiables devient aussi indispensable qu’ardu. C’est ce qu’expliquent trois experts dans une note peu ordinaire publiée le 22 août par la direction générale du Trésor.
Peu ordinaire car il est rare que les statisticiens reviennent sur leurs ratés ou ceux de leurs collègues. Mais ici, jouer l’autruche s’avérait impossible, tant, lors de la crise sanitaire, l’écart entre les prévisions de croissance et la réalité a été important. Lina Bourassi, Antoine Claisse et Louise Phung, les auteurs de la note, comparent la récession du début 2009 et celle provoquée onze ans plus tard par le premier confinement. En 2020, la dégradation du « climat des affaires » captée à chaud par les enquêtes était 1,2 fois plus forte qu’en 2009, selon la Banque de France, 1,9 fois selon l’Insee, et 2,6 fois selon l’agence Standard & Poors. Or, dans les faits, la baisse du produit intérieur brut s’est révélée près de six fois plus importante. Sacré décalage.
Comment l’expliquer ? La note évoque plusieurs causes. L’une tient au type de questions posées aux entreprises dans ces enquêtes. « Quelle a été l’évolution de votre production au cours du dernier mois ? » Hausse, baisse, stabilité : les réponses agrégées par l’Insee ne disent rien de l’ampleur des mouvements. Surtout, les indicateurs synthétiques habituels intègrent pour l’essentiel des données reflétant la demande de produits et de services. Or, avec le Covid-19 puis la guerre en Ukraine, l’évolution de l’économie française « a surtout été influencée par des facteurs d’offre », comme les difficultés d’approvisionnement et de recrutement, relève le Trésor. Qui plus est, la hausse de variables comme les délais de livraison ou le prix des matières premières, qui reflétait traditionnellement une demande forte et donc une activité dynamique, est soudain devenue le reflet de difficultés d’approvisionnement, freinant la production et réduisant la croissance. De quoi troubler la lecture des chiffres.
Modèles alternatifs
A Bercy, une refonte des modèles de prévision a été lancée fin 2022. De nouveaux dispositifs utilisant, sinon l’intelligence artificielle, du moins une « sélection automatisée de variables », ont été développés. Plusieurs millions de combinaisons de données ont été testées, en intégrant des éléments comme le nombre d’entreprises touchées par un manque de personnel, les indices boursiers, les cours de l’or et de l’euro, etc. Le résultat ? Assez bluffant, semble-t-il. Ces modèles alternatifs affichent des performances « bien meilleures » que les outils traditionnels, constate le Trésor. Le taux d’erreur est divisé par près de trois.
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