« On peut faire ce qu’on veut, mais vous savez… nous aurons toujours besoin de l’aide du “boss”. » Le 15 octobre 2020, à moins de trois semaines de l’élection qui décidera de sa réélection – ou de sa défaite – face à Joe Biden, Donald Trump lance à la foule rassemblée à Greenville (Caroline du Nord) ce message, en pointant l’index droit vers les cieux, déclenchant aussitôt un tonnerre d’acclamations.
Le « grand patron » ? C’est Dieu, naturellement. Et, comme s’il fallait encore appuyer le message, le président en campagne enchaîne : « L’autre jour, quelqu’un m’a dit : “Vous êtes de loin la personne la plus célèbre du monde.” J’ai répondu : “Non.” Il m’a demandé : “Qui est le plus célèbre ?” J’ai répondu : “Jésus-Christ.” »
Après quatre années de mandature électrique, le sortant est en difficulté. Aussi a-t-il décidé de jouer au maximum sa carte maîtresse (ce que veut littéralement dire trump card en anglais) : le vote fondamentaliste chrétien. Et le public n’a pas boudé son plaisir dans cette région d’Amérique appelée la « Bible Belt » – la « ceinture de la Bible » –, où la politique ne se conjugue qu’en mode religieux.
Fossé culturel
En 2020 toujours, mais en Floride cette fois, des leaders évangéliques avaient même fait cercle autour du candidat, qu’on a du mal à croire si dévot, et entonné une prière pour sa victoire. Les images ont fait le tour du monde. Parmi eux, le leader des Newsboys, star du rock chrétien, mais aussi Paula White, la conseillère spirituelle de Trump et de la Maison Blanche pendant son mandat. En campagne, White ira jusqu’à s’essayer au rap pour appeler « les anges africains et sud-américains » à défaire les démons et à accorder la victoire à son champion.
Face à de telles manifestations de soutien, notre rationalité européenne vacille. Le théologien André Gagné a souligné dès 2020, dans Ces évangéliques derrière Trump. Hégémonie, démonologie et fin du monde (Labor et Fides), que les opposants à Trump sont bien souvent démunis faute de connaissances de la culture fondamentaliste chrétienne. Ils en restent aux apparences, certes déroutantes, comme quand Paula White a prié en 2020 pour « qu’avortent des grossesses sataniques ».
Ces incompréhensions témoignent on ne peut mieux du fossé culturel traversant le pays : d’un côté, des libéraux se sentant assaillis par l’obscurantisme, de l’autre, des chrétiens se croyant persécutés. Au point que les plus pessimistes ne voient d’autre issue à ce clivage culturel qu’une seconde guerre civile, à l’image du film Civil War, d’Alex Garland, sorti en avril.
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