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Victor Hugo ne ménage ni ses effets ni sa peine pour que son Hernani, drame passionnel créé le 25 février 1830 à la Comédie-Française, s’accompagne d’un vacarme monstre afin d’en assurer le lancement en fanfare. « Je remets ma pièce entre vos mains, entre vos mains seules, écrit-il à ses camarades romantiques. La bataille qui va s’engager à Hernani est celle des idées, celle du progrès. C’est une lutte en commun. Nous allons combattre cette vieille littérature crénelée, verrouillée. Saisissons-nous de ce drapeau usé hissé sur ces murs vermoulus et jetons bas cet oripeau. Ce siège est la lutte de l’ancien monde et du nouveau monde, nous sommes tous du monde nouveau » (Victor Hugo raconté par Adèle Hugo, 1863).
Quels sont ces mondes anciens dont le poète et dramaturge prétend s’émanciper ? Et de quel monde nouveau se revendique-t-il ? Chef de file du romantisme français, dont il a, en 1827, théorisé le genre dans sa Préface de Cromwell, Hugo milite pour un style débarrassé de ses oripeaux. Il a 27 ans et le désir d’un théâtre vibrant, grotesque, pathétique, lyrique, trivial, inconvenant, excessif. En un mot : vivant. Avec Hernani, drame en cinq actes et plus de 2 000 vers, il torpille le classicisme et anéantit les règles de lieu et de temps qui ordonnent encore au XIXe siècle la marche des tragédies.
L’histoire de la pièce n’a rien de révolutionnaire. En 1519, Hernani gagne l’amour de Doña Sol, que lui cède son rival, le roi d’Espagne, mais il est tué au soir de ses noces et sa promise le suit dans la mort. La forme, en revanche, décoiffe. Hugo balaie déjà l’unité de lieu et de temps. Les scènes se passent en Espagne et en Allemagne, les héros courent d’une ville à l’autre, ce qui suppose une multiplicité de décors. Et puis la langue navigue du prosaïque au poétique, les vers sortent de leurs gonds. « J’ai disloqué ce grand niais d’alexandrin », s’amuse le poète. Hugo enfin prend ses aises avec la stature politique d’un roi dominé par son rival, qui le traite de « petit » ou de « chétif ».
Eminente spécialiste de l’auteur, Anne Ubersfeld (1918-2010) écrit dans son Dictionnaire du théâtre (Albin Michel, 1998) : « La vigueur provocante du style, l’audace des situations, la grandeur paradoxale des personnages, l’amour impossible, la présence permanente de la mort ravirent une jeunesse qui voyait dans l’œuvre (…) l’étendard enfin brandi de la liberté dans l’art. » Hernani est un manifeste pour un théâtre total adressé à un public populaire et moderne.
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