« Quoi ? ! Ça, c’est à peu près la tête que je viens de faire en découvrant ce courrier qu’un huissier de justice a déposé au bureau de Canopée. » Dans une vidéo diffusée à la mi-septembre, Bruno Doucet, chargé de campagne de Canopée forêts vivantes, décrit la nouvelle plainte visant l’association. Le conflit qui l’oppose à une partie des entreprises du secteur forestier vient de franchir une nouvelle étape : l’interprofession France Bois Forêt et douze organisations réclament l’annulation de l’agrément octroyé par le ministère de la transition écologique à Canopée, en décembre 2023, au titre de la protection de l’environnement.
Ces structures, qui représentent les propriétaires, les entrepreneurs, les coopératives, l’industrie du carton, les pépiniéristes ou encore les communes forestières, ont déposé à la fin d’août un recours contre l’Etat. « J’ai cherché, il n’y a aucune jurisprudence au niveau national, ce n’est pas du tout habituel que l’agrément des associations soit contesté », réagit Alexandre Faro, l’avocat de Canopée.
« C’est une première et une erreur stratégique majeure, abonde Arnaud Gossement, avocat spécialiste du droit de l’environnement. C’est comme pour Anticor [qui lutte contre la corruption] : s’attaquer à une association reconnue et avec de l’expertise ne sert à rien à part énerver tout le monde. » Inédite, cette démarche est révélatrice des fortes crispations autour des sujets forestiers et de l’échec du politique à tracer un cap clair pour l’avenir de massifs couvrant 30 % du territoire métropolitain.
Une jeune pousse à l’influence importante
Créée en 2018 par Sylvain Angerand, un ingénieur forestier aux petites lunettes rondes et colorées, Canopée est une jeune pousse. Ses premiers combats – et ses premières victoires – portent sur l’exclusion de l’huile de palme des biocarburants et sur la traçabilité du soja importé. L’association s’illustre ensuite en s’attaquant frontalement à la question des coupes rases : elle dénonce les effets des plans de relance qui encouragent des coupes par manque de critères environnementaux, plaide pour « laisser vieillir les forêts » et en faveur de modèles sylvicoles respectueux du climat et de la biodiversité. Dans son viseur également, les schémas régionaux de gestion sylvicole, qui encadrent les pratiques des propriétaires.
Avec ses cinq salariés et demi, ses sympathisants en sweat à capuche vert et ses quelque 300 000 abonnés à sa newsletter, Canopée a acquis, en quelques années, une influence importante. Elle est la seule association de protection de la nature française spécialisée dans la défense des forêts, un sujet qui interpelle citoyens et élus de tous bords. Outre la possibilité de mener des actions en justice, son agrément lui permet de siéger dans certaines instances. « L’attaque de la filière montre que Canopée est devenue très puissante », confirme Daniel Perron, juriste et spécialiste des politiques de la forêt. Et donc très irritante pour les lobbys du bois ?
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