Au pied d’un majestueux cirque de roches des Hautes-Pyrénées, le glacier des Oulettes de Gaube n’est plus que l’ombre de lui-même. L’été 2022 lui a porté un coup fatal, le lacérant en deux. Désormais, la partie inférieure est recouverte d’un manteau de cailloux masquant la glace. Il faut progresser sur la masse noire pour entrapercevoir un reflet bleuté, dans une faille d’où s’échappe de l’air frais. La partie supérieure, posée sur une barre rocheuse, est morcelée. De temps en temps, en cette journée de la mi-septembre, un sérac dévale la pente, dans un grondement sourd. L’ancien géant blanc est à l’agonie, à l’image de l’ensemble des dix-sept glaciers des Pyrénées.
« Il vit ses dernières années, quoi que l’on fasse », souffle Pierre René, glaciologue et accompagnateur en montagne, au cours d’une sortie scientifique. Avec l’association Moraine, qu’il a créée, il suit, depuis 2002, l’évolution des onze derniers glaciers côté français – six subsistent encore du côté espagnol. Il ne se lasse pas d’admirer ce qu’il considère comme « l’une des vues les plus mythiques » du massif : les Oulettes, surplombées par l’emblématique Vignemale, le plus haut sommet côté français (3 298 mètres).
Impossible de ne pas ressentir un vertige face à ces colosses à la puissance et à la fragilité extrêmes. Des monstres qui ont façonné le paysage au cours de dizaines de milliers d’années, et qui se délitent en quelques décennies sous l’effet des activités humaines. « La montagne perd son identité en raison du changement climatique », se désole-t-il.
Pierre René montre des photos du passé, témoins d’une grandeur glaciaire perdue. Sur un cliché de 1892, le glacier des Oulettes de Gaube occupe tout le cirque, rejoignant son voisin, le Petit Vignemale. Désormais, ce dernier, suspendu à la falaise, est également coupé en deux, occupant moins de 2 hectares, une superficie au-dessous de laquelle Pierre René considère un glacier comme mort. Le glacier des Oulettes, quant à lui, ne mesure plus que 5,5 hectares au total contre 30 hectares à la fin du XIXe siècle – bien loin des géants alpins, estimés en kilomètres carrés et non en hectares.
« Comme un tapis roulant »
Avec un front situé à 2 280 mètres d’altitude, c’est le plus bas des Pyrénées. S’il a pu survivre, ce n’est qu’en raison de la topographie : logé sur la face nord du Vignemale et protégé par l’imposante muraille, il est très peu exposé au soleil. Cette vaste paroi forme également un entonnoir, qui permet l’accumulation de neige sur le glacier tout au long de l’hiver. Des apports malgré tout insuffisants pour compenser la fonte. Les températures ont augmenté de 1,7 °C en moyenne dans les Pyrénées depuis 1880, une hausse plus rapide qu’à l’échelle planétaire.
Il vous reste 76.76% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.