A proximité de l’écluse d’Artzenheim (Haut-Rhin), l’ancien canal du Rhône au Rhin s’écoule placide vers le nord. Le long des berges, des érables, des aulnes, des marronniers… Les uns, bicentenaires, majestueux, surplombent la surface, d’autres, plus jeunes, poussent sur les rives, parfois dans l’eau, sous laquelle zigzaguent de petits poissons. Papillons et libellules bleutées se posent à la surface. La piste cyclable qui longe le canal est très appréciée des cyclotouristes européens. Sur le pont, où traverse la D111, un tag prévient : « Touche pas à mon canal sauvage ! »
Des travaux ont en effet commencé, début septembre, pour remettre en navigation la portion de 24,5 kilomètres qui relie Artzenheim à Friesenheim (Bas-Rhin). Ouvert en 1933, le canal, reliant la Saône, affluent du Rhône, au Rhin, s’étend sur 375 kilomètres, navigables en grande majorité. La section alsacienne de 60 km a été en partie délaissée, puis abandonnée à partir des années 1960.
Depuis, la nature a regagné le terrain, convertissant les lieux en habitat d’espèces telles que le muscardin, la grenouille de Lessona, le papillon grand mars, le chat forestier ou encore la linotte mélodieuse… Aujourd’hui, la région Grand-Est, propriétaire de la voie, ambitionne d’y développer la plaisance : un projet à 46,5 millions d’euros, en partie soutenu par des fonds européens. A terme, le réaménagement doit permettre à des bateaux de 5 mètres de se croiser. La région anticipe le passage de six mille bateaux et des retombées de 9 à 12 millions d’euros par an.
Racines des arbres endommagées
L’aménagement de la véloroute du Rhin, en 2010, n’a que peu dérangé l’écosystème, mais la remise en navigation risque de le faire, alertent des associations locales. Mandaté par elles, le cabinet d’avocats Huglo Lepage a déposé un recours, vendredi 27 septembre, devant le tribunal administratif de Strasbourg. Ces associations dénoncent « l’absence d’autorisation de dérogation “espèces protégées” comme de mesures ERC [éviter, réduire, compenser] pour protéger les zones humides dépendantes du cours d’eau, qui risquent d’être détruites », explique Me Théophile Bégel. Les opposants appellent à manifester le 5 octobre à Marckolsheim (Bas-Rhin), principale ville sur le trajet du projet.
« On va couper ce qui déborde, à droite et à gauche », s’alarme Pascal Lacombe, du collectif Le Chaudron des alternatives, en montrant les arbres et les herbes qui bordent le canal. Francis Guth, de l’association Porte du Ried Nature, redoute les dégâts causés par l’augmentation du tirant d’eau, destinée à rendre possible la navigation dans les deux sens. « Le canal fuit, explique-t-il en montrant un fossé parallèle en contrebas où s’est constituée une zone humide qui longe tout l’ouvrage. En augmentant la hauteur d’eau, les fuites vont augmenter aussi. La solution proposée est de creuser une tranchée de 5 mètres sous la piste cyclable pour imperméabiliser, avec quelques tuyaux pour préserver la zone humide. »
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