La France risque-t-elle un jour de manquer de Doliprane, cet antidouleur bien connu des patients dont les usines de Lisieux (Calvados) et de Compiègne (Oise) assurent aujourd’hui la production ? Rien n’est moins sûr, mais le simple fait que cette interrogation existe, quatre années après la crise du Covid-19, qui avait révélé l’ampleur de notre vulnérabilité sanitaire, explique la très inconfortable position dans laquelle se trouve l’exécutif français depuis l’annonce faite par Sanofi.
Vendredi 11 octobre, le géant pharmaceutique a manifesté son intention de céder 50 % du contrôle d’Opella, sa filiale de produits en vente libre, parmi lesquels figure le Doliprane, à un fonds d’investissement américain, CD&R. Aussitôt, les parlementaires socialistes ont exigé du gouvernement qu’il s’y oppose, au nom de la souveraineté sanitaire française. Sur les sites de production, les syndicats, inquiets pour la pérennité de l’outil industriel et de ses centaines d’emplois, organisent la résistance.
Pour justifier cette cession, qui pourrait lui rapporter plus de 15 milliards d’euros, le groupe pharmaceutique français invoque sa volonté de se recentrer sur l’innovation et de se positionner en champion de l’immunologie. L’argument pourrait être justifié par son échec à développer dans les temps un vaccin contre le Covid-19. Mais, au fil des plans de restructuration intervenus ces dernières années, la réputation de Sanofi s’est ternie : à la fois grand bénéficiaire du crédit d’impôt recherche et peu innovant, le groupe est accusé de n’avoir que la logique financière pour boussole. De fait, se recentrer sur des traitements sous brevet sera à coup sûr plus rentable que de développer des produits en vente libre.
Première crise industrielle
Le président de la République est, lui, pris à revers de ses promesses. Au lendemain de la pandémie, il s’était juré de « renforcer la souveraineté sanitaire de la France » par une réindustrialisation accélérée du pays. A l’époque, non seulement des masques avaient manqué, mais l’approvisionnement en Doliprane s’était révélé tendu, si bien qu’Emmanuel Macron avait décidé d’investir 40 millions d’euros dans la relocalisation de la production des premières étapes de fabrication du paracétamol, qui en constitue le principe actif.
Le gouvernement qui, à peine nommé, affronte sa première crise industrielle, n’est pas complètement démuni. Il peut imposer un accord entre l’Etat, Sanofi et l’acquéreur pour obtenir la préservation de la production et des emplois français, mais sans garantie dans la durée. Il peut faire entrer l’Etat dans le capital d’Opella, comme l’a envisagé mardi le ministre de l’économie. Il peut enfin décider de bloquer purement et simplement l’opération, mais, en pleine crise des finances publiques, le gouvernement doit déterminer si l’enjeu est suffisamment fort pour risquer ce signal en direction des investisseurs étrangers.
La crise qui s’est nouée autour du médicament fétiche des Français révèle l’écart dévastateur entre les promesses politiques et leur réalisation. Qu’aucune offre d’un fonds français ou européen n’ait été jugée supérieure à celle du prétendant américain ramène la France, et plus généralement l’Union européenne, à sa condition, rappelée récemment par l’ancien président de la Banque centrale européenne Mario Draghi dans son rapport choc. A ce stade, le credo de la souveraineté relève davantage du vœu pieux que d’un cheminement concret.