Le temple de Dagon, dieu des Philistins, est déjà détruit lorsque débute Samson, l’opéra perdu de Jean-Philippe Rameau et de Voltaire, dont le metteur en scène Claus Guth et le chef d’orchestre Raphaël Pichon présentaient, jeudi 4 juillet, au Théâtre de l’Archevêché d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) la « libre recréation mondiale ».
Un décor d’Archevêché aixois dont les ruines grandioses – murs éventrés, plafonds défoncés, poussières et gravas (ne subsiste que le grand escalier d’apparat) – ne tiennent plus que par la sécurisation d’experts en bâtiment coiffés de casques de chantier. Au centre, une vieille femme, seule, survivante véhémente et fragile, qui veut comprendre pourquoi son fils unique, ce nazir élu de Dieu, a provoqué le premier attentat-suicide de l’histoire, générant une tuerie de masse.
Dans l’air, les sons planent et tournoient comme des oiseaux de mauvais augure, infrabasses et tintements légers de bambous éoliens déployés par le sound designer Mathis Nitschke. Le chœur des Spartiates, « Que tout gémisse », extrait de la tragédie Castor et Pollux, s’y enchâsse avec un grand naturel. Car la tragédie lyrique et biblique, inspirée du Livre des Juges (Ancien Testament), qui, en 1733, accouple Rameau, l’un des plus grands génies lyriques de la musique française, alors auréolé du succès de son premier opéra, Hippolyte et Aricie, et son sulfureux librettiste Voltaire, ne verra jamais le jour, expirant en 1734 puis en 1736 sous le double coup d’une censure sorbonnarde entachée de cabale janséniste.
On loue la qualité de la partition, mais on craint les vers de l’auteur des Lettres philosophiques, multi-embastillé, convaincu d’anticléricalisme et d’impiété, contempteur du fanatisme religieux. S’il reste une version édulcorée du livret, remanié par Voltaire afin qu’il puisse figurer dans l’anthologie de ses œuvres publiée au soir de sa vie, la partition de Rameau a été éparpillée façon puzzle dans des ouvrages ultérieurs, principalement Les Indes galantes (Les Incas du Pérou), Les Fêtes d’Hébé, Zoroastre, Castor et Pollux, ainsi que, également abreuvés à l’encre voltairienne, La Princesse de Navarre et Le Temple de la gloire.
Effets spéciaux façon Marvel
La version de 2024 n’a rien d’une restitution muséale ou archéologique. Claus Guth a imaginé un nouveau scénario qui ajoute aux protagonistes le rôle parlé de la mère, celui d’Elon, ami de Samson passé à l’ennemi, un Ange annonciateur et la jeune Timna, symbole des multiples conquêtes d’un héros sexuellement attiré par les femmes de ses ennemis. Parmi elles, Dalila assurera le dénouement tragique, dépouillant le colosse de la force surhumaine dont le secret réside dans sa longue chevelure.
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