Alignées le long de grandes artères désertes, des tours de bureaux tristes et nues diffusent leur humeur dépressive autour de la gare du Nord de Bruxelles. Honni des Bruxellois depuis sa conception, à l’aube des années 1970, ce quartier qui s’étend entre la gare et le canal Charleroi-Bruxelles est aujourd’hui en mutation. Mais on ne répare pas un désastre urbain en un claquement de doigts. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : une lubie de promoteur mégalomane, qui s’est fracassée sur la réalité de la crise pétrolière. L’homme, mort en 1984, s’appelait Charly De Pauw. Il avait fait fortune dans les parkings et deviendrait célèbre pour la formidable collection de Bruegel qu’il allait se constituer.
Le « plan Manhattan » conçu pour ce quartier de Bruxelles devait conduire à faire sortir de terre, en un temps record, une réplique locale de la Défense : urbanisme sur dalle, 70 tours reliées entre elles par des passerelles piétonnes en hauteur, autoroutes urbaines au sol… Cinquante-trois hectares d’habitat ouvrier ont été rasés en un rien de temps, les occupants expulsés manu militari. Mais le rêve de Charly De Pauw a tourné court. Les tours sont longtemps restées à moitié vides, les passerelles n’ont jamais été construites, et le quartier est resté plus ou moins en friche jusqu’à la fin des années 1990. La colère des Bruxellois n’est jamais vraiment retombée. Et un mot a même été inventé pour désigner ce fiasco urbain : la « bruxellisation ».
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