Il y a sept ans, le directeur du Grand Théâtre de Genève, Aviel Cahn, proposait au plasticien Adel Abdessemed le Saint François d’Assise de Messiaen, unique opéra du compositeur français créé en 1983 à l’Opéra de Paris. Une première incursion lyrique pour le Franco-Algérien dont la mise en scène est présentée sur le plateau genevois jusqu’au 18 avril. L’artiste (actuellement exposé à la Galerie Wilde) a commencé humblement, dans un simple acte de foi, un dessin reprenant les premiers mots du livret, « J’ai peur ». Il a tout de suite compris qu’il serait le chantre scénographe, vidéaste, décorateur, costumier et metteur en scène de la fresque musicale du saint aux oiseaux, fondateur de l’ordre franciscain.
Ce n’est pas la première fois qu’un plasticien se mesure à l’œuvre-fleuve de Messiaen – autant pour sa durée (quatre heures quinze de musique) que pour le nombre de participants qu’elle requiert (119 musiciens et 150 choristes). En 2003, à Bochum (Allemagne), Ilya et Emilia Kabakov concevaient pour la Ruhrtriennale une rutilante et mégalomane coupole abritant les huit tableaux de ce qui s’apparente plus à un oratorio qu’à un opéra. Aux manettes du festival, son directeur artistique, Gerard Mortier (1943-2014). De même qu’en 1992, où le Gantois fut à l’origine de la très synesthésique mise en scène coloriste de Peter Sellars à Salzbourg (il y aura encore en 2004 la production confiée à Stanislas Nordey à l’Opéra de Paris, où Mortier est alors en poste).
Fidèle au syncrétisme spirituel qui l’anime, Adel Abdessemed a déroulé un vaste rituel, conviant concomitamment l’étoile de David (à l’origine du christianisme), dans un des grands cercles dorés qui descendront des cintres, puis le Christ en croix et l’église des chrétiens, enfin des objets arabes usuels – plateau de cuivres ornés de motifs géométriques, tapis colorés suspendus, ou ces femmes au hammam à la Delacroix arrivant après la guérison du lépreux, promesse du paradis et innocence de la chair – « Avant que le rigorisme de la religion ne me dise, comme à tous les enfants de mon Algérie natale, que la chair, celle des femmes en tout cas, c’était le mal », déplore le plasticien dans une interview accordée à Eric de Chassey dans le programme de salle.
Séduction irrésistible
Les costumes sont particulièrement réussis. Guenilles célestes pour SDF de la foi, qui rappellent les djellabas marocaines, constellées de matériaux recyclés (vieux coussins, sacs en plastique, déchets électroniques, peut-être aussi des détonateurs d’explosifs pour d’éventuels attentats, souligne Abdessemed), le lépreux arborant sa condition de réprouvé, quasi nu sous un vaste manteau dont les ampoules électriques stigmatisent les pustules dans une marée de plastique, celui-là même dont meurent nos océans. Seul l’ange voyageur est beau… comme un ange, dans l’envol d’une longue robe blanche plissée, dont le col et le dos dénudé se parent parfois d’une paire d’ailes gracieusement graduées d’un chromatisme arc-en-ciel à la Fra Angelico.
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