Les partisans d’Ekrem Imamoglu ne désarment pas. En Turquie, pour le quatrième soir consécutif, les soutiens du maire d’Istanbul, interpellé, mercredi, à son domicile pour « corruption » et « terrorisme », ont déferlé, samedi 22 mars, par dizaines de milliers devant l’hôtel de ville.
La foule est apparue encore plus nombreuse que les jours précédents, prenant d’assaut les rames de métro et les abords de l’hôtel de ville, congestionnés, en agitant des drapeaux et des pancartes exprimant sa colère : « Les dictateurs sont des lâches ! », « L’AKP [le parti au pouvoir] ne nous fera pas taire ».
Le maire a été amené en début de soirée avec quatre-vingt-neuf de ses coaccusés dans un palais de justice en état de siège, protégé par des dizaines de fourgons antiémeutes et un solide cordon de policiers, pour y être présenté à un procureur. Selon ses avocats, son audition dans le volet « terrorisme » de l’accusation, qui a duré « six heures », est terminée et l’autre a commencé. « M. Imamoglu a nié toutes les charges retenues dans un document de 121 pages », ont encore déclaré ses conseils, déplorant que les droits de la défense ainsi que « le droit à un procès équitable [aient] été violés ».
Malgré les restrictions d’accès, plus d’un millier de personnes, selon l’Agence France-Presse (AFP), se pressaient dans la nuit aux abords du tribunal de Caglayan. « Les gens ne sont pas là uniquement pour Imamoglu, mais pour défendre leurs droits, justifie Elif Cakir, un étudiant de 18 ans. La Constitution nous accorde le droit de manifester et de nous réunir, mais on nous l’interdit. » « Nous ne sommes pas les ennemis de l’Etat mais ce qui se passe est illégal », estime également Aykut Cenk, 30 ans, en agitant un drapeau turc.
Les accusations de « soutien au terrorisme » portées contre l’édile de 53 ans, principal opposant au président Recep Tayyip Erdogan, pourraient lui valoir une incarcération et son remplacement par un administrateur nommé par l’Etat.

Selon une déclaration transmise, samedi, par la municipalité de la métropole turque, le maire d’Istanbul a dénoncé devant la police des « accusations immorales et sans fondement (…), allant des rapports fabriqués au calendrier des enquêtes, [qui] visent à saper ma réputation et ma crédibilité ». « Ceux qui sont derrière cette stratégie devront répondre de leurs actes devant les tribunaux. Je porterai plainte contre les personnes et les institutions impliquées », a-t-il prévenu.
« Non seulement cette procédure nuit à la réputation internationale de la Turquie, mais elle brise aussi la confiance dans la justice et dans l’économie », a ajouté M. Imamoglu. L’indice vedette de la Bourse d’Istanbul a baissé de plus de 16,5 % cette semaine, une chute inédite depuis 2008 selon des analystes. Le maire a également dit « ressentir la force de millions de personnes » qui le soutiennent : « Quoi qu’il arrive, je lutterai pour la justice et la vérité par les moyens légaux jusqu’à la fin de ma vie. »
« Ce soir, l’histoire s’écrira ici, à Istanbul »
S’adressant à la foule massée devant l’hôtel de ville, le président du Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate), la plus importante formation de l’opposition turque – dont est issu M. Imamoglu – a assuré qu’ils étaient « plus d’un demi-million » et encore autant au loin qui ne pouvaient s’approcher. Özgür Özel a juré de « défendre Saraçhane [la mairie], de défendre le président Ekrem et de marcher sur [le tribunal] si nécessaire ».
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« Ce soir, l’histoire s’écrira ici, à Istanbul. Ne vous y opposez pas », a-t-il lancé aux policiers déployés en nombre. Ceux-ci ont néanmoins commencé à disperser la manifestation peu après minuit [22 heures à Paris], usant de gaz lacrymogènes et de grenades assourdissantes. Des incidents avaient éclaté un peu plus tôt entre jeunes manifestants et policiers, déployés en nombre.


A Ankara, la capitale, les manifestants ont été repoussés à jets de canon à eau et à Izmir, troisième ville du pays, la police a bloqué des étudiants qui tentaient de marcher sur les locaux du parti AKP au pouvoir.
Le président Erdogan, prenant la parole devant des membres de son parti, a accusé l’opposition de faire « depuis quatre jours tout son possible pour perturber la paix de la nation et diviser notre peuple ». Le gouvernorat d’Istanbul a prolongé jusqu’au 26 mars l’interdiction de rassemblement en vigueur depuis mercredi et imposé de nouvelles restrictions d’entrée en ville aux personnes « susceptibles » de participer à des rassemblements, sans préciser comment il les mettrait en œuvre.
Au total, des rassemblements se sont tenus depuis mercredi dans au moins cinquante-cinq des quatre-vingt-une provinces turques, selon un décompte de l’AFP. Après la mobilisation imposante de vendredi, la police a procédé à 343 arrestations, a annoncé, samedi, le ministre de l’intérieur, Ali Yerlikaya.
Ces arrestations ont eu lieu dans neuf villes du pays, dont Istanbul, Izmir (Ouest), Ankara, la capitale, Edirne et Çanakkale (Nord-Ouest), Adana et Antalya (Sud), témoignant de l’ampleur de la contestation. « Ceux qui cherchent le chaos et la provocation ne seront pas tolérés », a mis en garde le ministre, sur X.
M. Imamoglu devait être désigné, dimanche, comme le candidat de son parti à la présidentielle, prévue en 2028. Le CHP a décidé de maintenir l’organisation de cette primaire et appelé tous les Turcs, même non inscrits au parti, à y prendre part.
Dans un message posté sur X par ses avocats, Ekrem Imamoglu a remercié ses concitoyens, descendus par dizaines de milliers dans les rues, pour leur mobilisation. « Vous défendez notre république, la démocratie, l’avenir d’une Turquie juste et la volonté de notre nation », a-t-il écrit.