A la question « Qu’est-ce que l’arte povera ? » (« art pauvre », en français), la réponse la plus simple est : des artistes trentenaires qui apparaissent en Italie à la fin des années 1960 et dont le principal point commun, outre l’âge et la culture, est la volonté de s’affirmer hors des styles et des notions qui dominent alors. Cette volonté ne s’exprime pas dans des manifestes, mais, brièvement, par des expositions collectives qui rassemblent des créations de formes très différentes – mais toutes intensément provocatrices. C’est ce qui se voit d’abord dans l’exposition conçue par Carolyn Christov-Bakargiev : la nouveauté radicale des travaux et leur non moins radicale variété.
Au centre de la rotonde de la Bourse de commerce voisinent une mitrailleuse lourde kaki, un gisant de marbre acéphale, une surface de gazon synthétique sur laquelle repose un tube couvert de glace, deux Vénus nues d’une blancheur neigeuse, une silhouette allongée faite de boules de terre malaxée, des escarpins en fil de cuivre, un très long tube de néon blanc qui jaillit de bottes de paille. Deux troncs d’arbre écorcés sont appuyés contre les murs et de gros lambeaux de mousse écarlate sont suspendus à un portique à la géométrie zigzagante.
Quand elles surgissent, ces pièces de Marisa Merz, Pino Pascali, Gilberto Zorio ou Giuseppe Penone sont inclassables. Elles ne relèvent ni du pop art, ni du minimalisme. Leur extravagance et l’incongruité des matériaux, du moteur de réfrigérateur au caoutchouc fondu et au verre à vitre, n’ont de précédent que du côté de dada, de Robert Rauschenberg et de Fluxus. L’une des plus petites d’entre elles – car elles sont aussi souvent de grande taille – est faite d’une bassine métallique et de deux mots en néon blanc. Ils demandent : « Que Fare ? » C’est Mario Merz qui feint ainsi de s’interroger, en 1968. Que faire ? Tout, absolument tout ce qui est possible.
Introduction perturbatrice
Faire commencer ainsi le parcours est une idée audacieuse et juste. Audacieuse parce que bien des visiteurs seront interloqués par ce bizarre assemblage. Et juste du point de vue de la création, car celui-ci démontre qu’il n’y a donc pas de style arte povera, ni une école, mais des individus qui fabriquent et font d’étranges choses. Juste aussi pour une autre raison. Pourquoi, en effet, l’adjectif « pauvre » ? Evidemment parce que la plupart des éléments employés sont sans valeur : plomb, chiffons, branches mortes.
Mais il y a une autre raison, plus politique. L’arte povera étant désormais inscrit dans l’histoire et célébré par les institutions et le marché, la dévitalisation par le respect menace. Ses pièces pourraient n’être plus que des objets précieux pieusement conservés. Elles y perdraient leur force contestatrice, leur absurdité, leur ironie. Ici, dans une architecture palatiale édifiée à la gloire des industries et du commerce et devenue muséale, le risque était particulièrement fort. Il est évité par cette introduction brutale et perturbatrice.
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