A l’Odéon-Théâtre de l’Europe, une page se tourne. En juillet, Stéphane Braunschweig, 60 ans, a laissé le fauteuil directorial à Julien Gosselin, 37 ans. Dans cette maison qui fut la sienne pendant huit ans, il présente aujourd’hui son dernier spectacle programmé en tant que directeur, qui a le goût d’un adieu. Et pour cette coda, il a choisi La Mouette, la pièce où Tchekhov enregistre le passage douloureux d’une génération à l’autre, d’un théâtre à l’autre. La mise en abyme n’est pas fortuite, mais elle se révèle douloureuse pour le metteur en scène. Le spectacle, à l’issue de la première, jeudi 7 novembre, a été accueilli par des applaudissements polis.
Il est vrai que cette Mouette peine à s’envoler vers les hauteurs, tant elle semble prisonnière, pour ne pas dire engluée, dans une forme théâtrale réaliste et conventionnelle, qui coupe les ailes à la grâce et à l’émotion. L’encéphalogramme reste plat tout au long de la représentation, alors que la pièce renvoie nombre d’échos à notre aujourd’hui. Elle est d’ailleurs très souvent montée depuis une dizaine d’années, et on en a vu des versions magnifiques et audacieuses, notamment celles d’Arthur Nauzyciel, de Thomas Ostermeier, de Cyril Teste ou du metteur en scène argentin Guillermo Cacace.
Stéphane Braunschweig, certes, inscrit bien la pièce dans une contemporanéité, à travers les costumes, d’une banalité étudiée, que portent les personnages. Ils n’ont aucun mal à appartenir à notre temps, tous autant qu’ils sont. Qu’il s’agisse de Trigorine, l’écrivain à succès, et d’Arkadina, l’actrice célèbre, qui déboulent à la campagne en seigneurs, tout en proclamant qu’on s’y ennuie à mourir. Ou de Treplev et Nina, qui incarnent une jeunesse sacrifiée, coincée loin des lumières de la ville, et qui rêve du salut que peut offrir l’art. Ou encore de Macha, toujours vêtue de noir car elle « porte le deuil de sa vie », ou de Medvedenko, l’instituteur, qui ne parle que d’argent parce qu’il n’en a pas.
Un vaste espace vide
La Mouette, c’est le Hamlet de Tchekhov, une pièce où la vie et l’art se tissent de manière on ne peut plus aérienne et déchirante, où le théâtre est convoqué, sondé, dans sa capacité à exprimer l’âme et les soubresauts d’une époque. Elle porte en elle l’injonction, pour les metteurs en scène, de trouver ces « formes nouvelles » que le jeune Treplev appelle de ses vœux et tente de faire naître, s’attirant les moqueries de ses aînés.
Il vous reste 52.18% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.