De son bref passage à Madagascar, Hassan Warsame n’a conservé que peu de souvenirs. Arrivé par avion à Antananarivo, le 24 mars 2024, en provenance de Mogasdiscio après une escale à Addis-Abeba, ce Somalien se rappelle seulement être « resté caché le plus possible par peur d’être emprisonné ». L’homme de 26 ans, qui dit avoir fui son pays après avoir été menacé de mort par des islamistes chabab, avait pourtant acheté un visa d’entrée valable un mois.
« A mon arrivée, un passeur m’a emmené à l’hôtel et le lendemain nous sommes allés à la gare routière pour prendre la direction d’Ambanja », raconte-t-il. Parvenu dans cette ville du nord de Madagascar située à une dizaine de kilomètres de la côte, Hassan Warsame est progressivement rejoint par douze autres Somaliens – également arrivés par avion, assure-t-il – et 41 Malgaches. Tous sont candidats à la traversée clandestine vers Mayotte, à 350 km de là.
« Après quelques jours, nous avons été transférés sur une petite île où nous avons attendu quatre jours qu’un bateau vienne nous chercher. Puis nous avons passé trente heures au milieu de l’océan avant d’être arrêtés par la police française le 12 avril, tout près de notre destination », détaille le jeune homme désormais installé à Mayotte, dans le quartier de Kawéni, rasé par le cyclone Chido. Sa demande d’asile a été rejetée.
Une traversée de 1 500 km
Comme Hassan Warsame, ils sont de plus en plus nombreux, venus de la Corne de l’Afrique, à tenter la migration vers Mayotte en transitant par Madagascar. Le 5 janvier, à la nuit tombée, 36 Somaliens et un Ethiopien ont été arrêtés sur une plage de Majunga (nord-ouest) alors qu’ils s’apprêtaient à prendre la mer. Ils étaient arrivés à Antananarivo en avion, indique l’enquête de gendarmerie. En août puis en octobre 2024, une trentaine de Somaliens avaient été arrêtés dans la région de Sofia, en face de l’archipel des Comores, sans que les autorités ne communiquent la route maritime qu’ils avaient empruntée jusqu’à Madagascar.
Car plusieurs chemins mènent à Mayotte et la Grande Ile n’est pas une étape obligée. Si les Comores restent, et de loin, le premier point de départ, en novembre 48 Somaliens ont été retrouvés par des pêcheurs malgaches sur deux bateaux à la dérive non loin de l’île de Nosy Be. Aux enquêteurs, ceux-ci ont raconté avoir quitté leur pays trois semaines plus tôt, destination Mayotte. Selon leur témoignage, 23 passagers sont morts lors de cette traversée d’environ 1 500 km. Les survivants ont été rapatriés en Somalie début décembre après qu’un diplomate et un procureur général somaliens se sont rendus à Nosy Be.
Ces récits de voyages extrêmes, Sébastien Denjean, le directeur de l’association Solidarité Mayotte, qui accompagne les demandeurs d’asile dans leurs démarches sur l’île française, en a déjà recueilli plusieurs. « On voit arriver des Somaliens des Comores ou de Madagascar, mais on entend aussi dire que des kwassa-kwassa [pirogues] ont fait de trente à quarante jours de mer directement depuis Mogadiscio, dit-il. Lorsqu’on les reçoit, ils sont brûlés par le soleil, ils sont épuisés, ils ont la tête qui tourne. » Selon lui, la plupart de ces hommes et femmes ont moins de 30 ans.
Coincés dans « la nasse mahoraise »
A Mayotte, les demandes d’asile attestent que les Somaliens sont de plus en plus nombreux. Selon l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), seules quelques demandes avaient été déposées dans le département en 2021 par des ressortissants de ce pays, contre 40 en 2022 et 131 en 2023. Ce chiffre s’est enfin élevé à « un peu plus de 300 » rien qu’au premier semestre 2024.
Au cours des deux dernières années, environ 70 % des demandeurs d’asile somaliens à Mayotte ont reçu le statut de réfugié ou la protection subsidiaire. Cette dernière, la plus courante dans leur cas selon Sébastien Denjean, est attribuée aux étrangers qui sont exposés dans leur pays au risque de peine de mort, d’exécution ou de torture. Elle donne accès à une carte de séjour renouvelable et permet de travailler et de se déplacer en métropole. Mais son obtention est souvent très longue à Mayotte.
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« A mon sens, beaucoup de gens restent coincés dans ce que j’appelle “la nasse mahoraise”. Ils sont souvent sans argent, sans toit, sans rien. Aucun vol retour n’est organisé vers Mogadiscio, il n’y a pas d’accord entre la France et la Somalie. Il n’y a pas d’alternative », constate le directeur de Solidarité Mayotte. Fin novembre, Thani Mohamed-Soilihi, le ministre délégué chargé de la francophonie et des partenariats internationaux, a rencontré le chef de la diplomatie somalienne pour, comme il l’écrit sur son compte X, « aborder la perspective d’accords migratoires entre la Somalie et la France » et ainsi lutter contre les migrations clandestines vers Mayotte. Aucune décision ou nouveau rendez-vous n’a depuis été annoncé.