Un texte du Figaro, publié mardi 17 décembre, a créé le trouble chez un certain nombre de nos lectrices et de nos lecteurs, en faisant état d’éléments inexacts ou tronqués, tentant d’alimenter la thèse d’une évolution récente, et partisane, hostile à Israël, de notre couverture du conflit israélo-palestinien. Nous le contestons.
Sans revenir sur l’ensemble des points évoqués dans ce texte, qui n’aborde jamais le fond de nos très nombreux articles consacrés à cette guerre, nous tenons à clarifier l’un d’entre eux qui met en scène l’intimité de notre lieu de travail : ce qui est décrit comme un « mur de Gaza » au cœur de notre rédaction, n’est en rien une œuvre collective de journalistes du Monde. Ces images sont affichées à proximité du bureau d’un salarié qui n’est pas journaliste. Cet engagement individuel n’est en aucun cas celui du service où se trouvent ces images, ni évidemment de l’ensemble de la rédaction.
L’existence de ces images était ignorée de la très grande majorité des membres de notre maison et n’avait jamais été signalée aux différentes hiérarchies. Nous comprenons que certaines d’entre elles aient pu choquer, elles ont été supprimées. Nous regrettons qu’une discussion interne, simple à trancher, n’ait pu avoir lieu à leur propos, et qu’elles aient servi à nourrir à notre endroit un procès d’intention, particulièrement hostile, venant alimenter une campagne de dénigrement qui a redoublé de virulence depuis les massacres commis lors de l’attaque terroriste du Hamas, le 7 octobre, et la guerre qui a suivi dans la bande de Gaza.
A l’opposé de ceux qui nous caricaturent ainsi, Le Monde a la chance d’être une collectivité humaine variée, où chacun peut avoir son opinion, et son ressenti, sur le conflit le plus déchirant de l’époque, celui qui oppose Israéliens et Palestiniens. Notre journal ressemble en cela, et c’est une bonne chose, à la société, et à notre lectorat. Nous devons sûrement, à l’intérieur de notre maison, progresser quant à la manière dont nous pouvons discuter de cet engrenage atroce, qui affecte profondément beaucoup d’entre nous, tout autant que nombre de nos lectrices et de nos lecteurs.
Mais une chose est certaine : nous veillons scrupuleusement à ce que notre pratique professionnelle, sur la couverture de ce conflit comme sur tout autre sujet, ne dévie pas des principes de l’indépendance journalistique qui ont présidé à la fondation de notre journal par Hubert Beuve-Méry, il y a tout juste quatre-vingts ans. Ce travail repose, au service International, sur un réseau de correspondants, unique par son ampleur dans la presse francophone, sur des envoyés spéciaux et sur nos spécialistes de chaque région du monde, relus à Paris par les responsables du service, en lien avec la direction de la rédaction. Ce mode de fonctionnement collégial, fondé sur l’expertise de terrain, nous permet de préserver au maximum notre production éditoriale de biais éventuels.
En ce qui concerne le conflit israélo-palestinien, Le Monde s’efforce, depuis des décennies, et singulièrement depuis le 7 octobre 2023, de vérifier, décrire et qualifier, sans parti pris, les violences subies et commises par chaque camp.
Depuis un an, ce journalisme de terrain a été rendu particulièrement ardu par l’interdiction faite à la presse, par les autorités israéliennes, d’accéder à la bande de Gaza. En dépit de ces difficultés, nous avons continué de décrire la destruction de l’enclave palestinienne et d’une bonne part de sa population par les bombardements de l’armée israélienne, avec le même scrupule que nous avions mis en œuvre pour documenter les atrocités commises au cours de l’attaque terroriste du Hamas, le 7 octobre 2023.
C’est sans doute cette obstination à faire notre métier, à décrire ce dont beaucoup voudraient détourner leurs yeux, qui nous vaut depuis des mois des attaques virulentes, visant nommément l’un des chefs adjoints du service International, Benjamin Barthe, dont l’expertise sur le Proche-Orient fut saluée par un prix Albert Londres, en 2008, et à qui nous réitérons notre soutien. Un récent avis de notre comité d’éthique et de déontologie, instance indépendante dont peu de médias se sont encore dotés, a écarté, le concernant, les accusations de conflit d’intérêts qui le visent régulièrement.
Ce journalisme de terrain, d’enquête et d’expertise ne se résume pas à une pratique professionnelle. Il est imprégné d’engagements et de valeurs que nous défendons depuis la création de notre titre, en 1944. A propos du conflit israélo-palestinien, pour lequel nous sommes attaqués depuis tant d’années, nous avons résumé ainsi les deux principes qui nous guident, dans un éditorial publié le 7 octobre : « La défense indéfectible de l’existence d’Israël, enracinée dans la prise de conscience de la Shoah et dans un rejet résolu de l’antisémitisme, terreau sur lequel prospèrent toutes les formes de racisme et d’exclusion. La défense des droits légitimes des Palestiniens à une autodétermination qui les conduirait à disposer de leur propre Etat. Nous avons la conviction que ces deux principes ne s’annihilent pas l’un l’autre, mais, bien au contraire, que leur reconnaissance mutuelle constitue la seule issue possible à la crise sans fin qui secoue les deux peuples. »
Nous maintiendrons ces engagements, en dépit de toute la mauvaise foi qui nous est actuellement opposée, pour rester à la hauteur de l’attention fidèle de nos lectrices et de nos lecteurs, que nous tenons à remercier.