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Le garde des sceaux souhaite aligner le statut de « repenti » sur le modèle de la législation italienne. L’annonce d’Eric Dupond-Moretti, le 28 avril, a immédiatement été abondamment relayée, faisant ressortir nombre de fantasmes sur ce statut. Pourtant, pour une adoption efficace de ce dispositif, il faut en comprendre l’essence.
Le terme exact en Italie est celui de « collaborateur de justice » – la révélation d’informations ne supposant pas forcément la dissociation sincère que suppose le repentir –, même si, pour raccourcir, le mot « repenti » est aussi utilisé. Une de ses spécificités par rapport à ce qui existe en France est que ce statut peut être accordé à quelqu’un ayant commis des crimes de sang. Le collaborateur ne doit par ailleurs pas être confondu avec le « témoin de justice » : le premier est membre d’une organisation criminelle, le second y est extérieur, mais sait des choses utiles à la résolution d’une enquête.
Ce dispositif à l’italienne est traditionnellement associé à la figure de Tommaso Buscetta, membre de Cosa Nostra, dont les révélations seront fondamentales pour le maxi-procès de la Mafia à Palerme (Sicile) en 1986. Et pourtant, lorsque le « Boss des deux mondes » [comme on le surnommait, parce qu’il était actif en Italie et aux Etats-Unis] parlait au juge Giovanni Falcone, il n’était pas sous statut de collaborateur de justice. Tout simplement parce que seuls les terroristes pouvaient alors en bénéficier depuis 1980. Ce n’est donc pas le statut qui a fait de Buscetta un collaborateur de justice, mais c’est Buscetta qui a aidé le juge Falcone à faire étendre, à partir de 1991, ce dispositif aux membres de la criminalité organisée, et tout particulièrement aux mafieux.
On ne peut donc pas dire que Buscetta a parlé parce qu’on lui a proposé une offre particulièrement incitative. Il a parlé parce que, à ce moment-là, une guerre extrêmement sanglante fait rage au sein de la Mafia ; Cosa Nostra est fragilisée, et il se retrouve du côté des perdants, comptant les morts parmi ses proches. En outre, il a parlé parce qu’en face de lui se trouvait le juge Falcone. Cette collaboration – comme toutes les autres – est le fruit tant d’une démarche personnelle que d’une rencontre hautement interpersonnelle entre deux personnes. Une forme de confiance ou au moins de respect s’instaure.
En ce sens, la collaboration avec la justice repose sur une part d’humain non négligeable. Elle n’est donc fondamentalement pas reproductible à l’envi. Attention, donc, à ne pas sombrer dans les méandres d’une analyse coûts-bénéfices appliquée au choix du criminel : le dispositif, pour incitatif qu’il puisse être, ne suffit pas à garantir une libération de la parole criminelle.
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