FRANCE INTER – A LA DEMANDE – PODCAST
« C’est la série des séries ; une préquelle en quelque sorte. » Au-delà du bon mot, et comme souvent avec Philippe Collin, cela fait sens. D’ailleurs, écoutons bien et repassons-nous ses séries sur Philippe Pétain, Léon Blum, ou encore sur les résistantes : partout et tout le temps, c’est lui que l’on croise. Lui, c’est-à-dire Alfred Dreyfus (1859-1935).
Début février, Philippe Collin commence donc à se documenter et, très vite, apprend à se défaire de quelques idées reçues. En place de la victime accablée, le travail des historiens Philippe Oriol et Vincent Duclert – lesquels viennent d’éditer et de préfacer les Œuvres complètes (1894-1936), d’Alfred Dreyfus (Belles Lettres, 1 102 pages, 47 euros) – met en lumière un « homme de résistance », selon l’expression de Vincent Duclert. Ce dernier souligne « l’héroïsme civique » d’Alfred Dreyfus, citoyen français et juif alsacien, qui, accusé à tort de haute trahison au bénéfice de l’Allemagne, dégradé et déporté de 1895 à 1899 dans un bagne de Guyane, refusera de se soumettre à un procès arbitraire.
Son journal comme sa correspondance débordent de ce courage, de sa foi en la justice et en la République. Par ailleurs, c’est l’homme − et pas seulement l’Affaire − que Philippe Collin a souhaité donner à entendre. Un homme qui fut aussi un frère, un mari et un père aimant et que le comédien Eric Ruf (qui est aussi administrateur de la Comédie-Française) incarne magistralement.
Patriotisme et nationalisme
Mais, et comme aime à le dire Philippe Collin, il est temps de faire de l’histoire. Dans les quatre premiers épisodes sont évoqués la jeunesse d’Alfred Dreyfus et le début de l’Affaire. Le suivant permet d’interroger, avec Emile Zola, le rôle des intellectuels. S’appuyant comme toujours sur les spécialistes et historiens (citons Pascal Ory, Pierre Birnbaum ou encore le chercheur en philosophie politique Milo Lévy-Bruhl), la série de podcasts s’attache aussi à nous apprendre à distinguer entre dreyfusards, dreyfusistes et dreyfusiens.
De même que seront clairement définies les notions de patriotisme (rappelons qu’Alfred Dreyfus s’engagera dans la première guerre mondiale) et de nationalisme. La politique de collaboration de Philippe Pétain, qui liquida la République le 10 juillet 1940 soit cinq ans après la mort d’Alfred Dreyfus, viendra percuter le destin de la famille Dreyfus, harcelée, pourchassée et déportée par le régime de Vichy (épisode 9).
Au dernier épisode, Philippe Collin pose plusieurs questions : Que devons-nous à Alfred Dreyfus, et comment s’est déployée la mémoire de l’Affaire après la mort du capitaine ? Rappelons ici que, le 12 juillet 2006, soit cent ans exactement après la réhabilitation d’Alfred Dreyfus, le président Jacques Chirac dira ceci : « La réhabilitation de Dreyfus, c’est la victoire de la République. C’est la victoire de l’unité de la France. Le refus du racisme et de l’antisémitisme, la défense des droits de l’homme, la primauté de la justice : toutes ces valeurs font aujourd’hui partie de notre héritage. Elles peuvent nous sembler acquises. Mais il nous faut être toujours extrêmement vigilants : le combat contre les forces obscures, l’injustice, l’intolérance et la haine n’est jamais définitivement gagné. »
Rappelons encore que − n’en déplaise à Lionel Jospin qui, le 14 janvier 1998, proclamait le contraire −, la gauche a, elle aussi, compté nombre d’anti-dreyfusards. Et l’historienne Perrine Simon-Nahum de rappeler ici que, « quand les juifs sont attaqués dans nos sociétés, ce sont les institutions démocratiques et républicaines qui le sont ». Pour Philippe Collin, la cause dreyfusarde fut une lutte contre les réactionnaires et les passions tristes : « C’est un combat qui n’est jamais gagné et qui demeure d’actualité. La République est fragile, c’est un subtil équilibre sur lequel il faut veiller. » Sans tomber dans l’anachronisme, il est troublant de se souvenir aujourd’hui de cette histoire.
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Aussi, et « alors que les populismes et l’antisémitisme pullulent, à gauche et à droite », le journaliste espère que sa série sur Alfred Dreyfus sera une petite lumière dans la nuit. Disons à quel point, avec un sens aigu de la pédagogie et une rigueur certaine, Philippe Collin tient le rôle de vigie.
Alfred Dreyfus : le combat de la République, un podcast de Philippe Collin, réalisé par Violaine Ballet et Juliette Médevielle (Fr., 2024, 10 × 55 min). A retrouver sur le site de France Inter et toutes les plateformes d’écoute habituelles.